Robert Doisneau, Palm Springs, 1960. |
C'est la brume, la brume solaire, qui va remplir l'espace. La rébellion même est un gaz, une vapeur. La brume est le premier état de la perception naissante, et fait le mirage dans lequel les choses montent et descendent, comme sous l'action d'un piston, et les hommes lévitent, suspendus à une corde. Voir brumeux, voir trouble: une ébauche de perception hallucinatoire, un gris cosmique. Est-ce le gris qui se partage en deux, et qui donne le noir quand l'ombre gagne, ou quand la lumière disparaît, mais aussi le blanc quand le lumineux devient lui-même opaque? Goethe définissait le blanc par "l'éclat fortuitement opaque du transparent pur"; le blanc est l'accident toujours renouvelé du désert, et le monde arabe est en noir et blanc. Mais ce ne sont encore que des conditions de la perception, qui s'effectue pleinement quand les couleurs apparaissent, c'est-à-dire quand le blanc s'obscurcit en jaune et quand le noir s'éclaircit en bleu. Sable et ciel, jusqu'à ce que l'intensification donne le pourpre aveuglant où brûle le monde, et où la vue dans l'oeil est remplacée par la souffrance. La vue, la souffrance, deux entités... : "s'éveillant dans la nuit, il n'avait plus trouvé dans ses yeux la vue, mais seulement la souffrance". Du gris au rouge, il y a l'apparaître et le disparaître du monde dans le désert, toutes les aventures du visible et de sa perception. L'Idée dans l'espace est la vision, qui va du transparent pur invisible au feu pourpre où toute vue brûle.
Gilles Deleuze, La Honte et la Gloire: T.E. Lawrence in Critique et Clinique, Éditions de Minuit, collection Paradoxe, 1993, p.144-145.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire