Professor Bourbaki, IMG_0039, 2012. |
Chapitre XX
LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE ET LE SECOND EMPIRE
Aux journées de février 1848 comme aux journées de juillet 1830, la monarchie avait cédé presque sans résistance à l'émeute de Paris. Dans les deux cas, ce n'était pas seulement le roi qui avait abdiqué, c'était l'autorité elle-même. Mais si, en 1830, la bourgeoisie libérale avait pu substituer Louis-Philippe à Charles X, en 1848, elle avait été prise au dépourvu, et, cette fois, l'émeute ne lui avait pas permis "d'escamoter" la Révolution. Bon gré, mal gré, il fallait accepter la République dont le nom évoquait pour les hommes d'ordre d'assez mauvais souvenirs. Il y eut donc une panique à côté d'un enthousiasme extraordinaire. On bénissait des arbres de la liberté, mais les cours de la Bourse tombaient à rien et, dans la crainte du pire, chacun réalisait ce qu'il pouvait. Ce qui inspirait surtout de l'effroi, c'était le socialisme qui s'était développé durant la monarchie de Juillet avec l'industrie et l'accroissement de la population ouvrière. La République que les insurgés avaient proclamée, c'était la République démocratique et sociale fortement teintée de rouge. Au gouvernement provisoire entrèrent avec des modérés comme Lamartine, des républicains avancés comme Ledru-Rollin, un théoricien socialiste, Louis Blanc, et un ouvrier, Albert. D'après la conviction presque générale, ce n'était qu'un commencement et l'on allait vers une transformation radicale de la société. La réforme électorale avait été la cause de l'insurrection, le suffrage universel était inévitable et l'on avait peine à imaginer que le suffrage universel ne fût pas révolutionnaire.
L'histoire très brève de la deuxième République est celle d'un enthousiasme rapidement déçu et d'une peur prolongée. C'est celle aussi d'un phénomène bien plus important: l'autorité, sous la forme des deux monarchies qui avaient successivement abdiqué, avait douté du pays, et c'est pourquoi, au premier accident, elle avait douté d'elle-même et défailli. Nous allons voir le pays se mettre à la recherche de l'autorité et, en très peu de temps, la rétablir. Ceux qui, par crainte du désordre, se méfiaient du peuple français s'étaient trompés autant que ceux qui, pour gagner ses suffrages, croyaient qu'une attitude plus démagogique était le moyen le plus sûr. Paris même, foyer des révolutions, n'allait pas tarder à se montrer hostile à la Révolution sociale avec une rare violence.
Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Taillandier, 2007 (1940), p.473-474.