vendredi 27 septembre 2013

Il Faut.

Farah Aliza Badaruddin, Bartlett Unit 11 Project, 2013.

3

Les "must"

Le maître mot de la mode n'est pas : "Cela vous plaît-il ?", c'est : "Il faut."
Il faut. En anglais : "It's a must." C'est ainsi qu'un Joaillier de la rue de la Paix a baptisé ses briquets et ses montres.

Ce qui me frappe, ce n'est pas tant le nom lui-même, c'est qu'il est suivi d'un petit R encerclé qui veut dire que le fabricant se réserve les droits exclusifs de cette appellation.

L'objet de mode, en l'occurrence, importe peu. Ce qui compte, c'est le nom, la griffe, la signature. On peut même dire que si l'objet n'était pas nommé et signé, il n'existerait pas. Il n'est rien d'autre que son signe. Mais les signes s'épuisent vite, plus vite que les briquets et que les montres. C'est pour cela que les modes changent.

Il s'agit, dit-on, d'une douce tyrannie. Mais je n'en suis pas si sûr.

George Perec, Penser/Classer, Éditions du Seuil, collection La Librairie du XXIe siècle, 1985 (2003), p.46.

vendredi 20 septembre 2013

Machine Violée.

Philippe Bolthausen, Ad Rem, (s.d.).

La cybernétique, une discipline scientifique des plus précieuses "fondée" récemment par Norbert Wiener (1), a relevé des comparaisons fort justes entre le comportement des machines et celui des hommes, dans l'idée qu'une étude des machines pourrait fournir de précieux aperçus sur la nature de notre propre comportement. En étudiant les défaillances d'une machine - par exemple, deux tropismes distincts fonctionnant simultanément dans l'une des cyber-tortues de Grey Walter (2), produisant chez ces animaux, soudain déboussolés, un comportement d'une complexité fascinante -, on découvre peut-être quelque chose de neuf et de prometteur sur ce qu'on a coutume d'appeler un comportement "névrotique" chez les humains. Mais admettons qu'on veuille inverser l'analogie. Supposons - et je ne crois pas que Wiener ait anticipé cette possibilité -, supposons qu'une étude de nous-mêmes, de notre nature, nous permette d'en savoir plus sur le fonctionnement et le non-fonctionnement désormais extraordinairement complexes des constructions mécaniques et électroniques. Autrement dit - et c'est là où je veux en venir -, il nous est à présent possible d'étudier le milieu externe artificiel qui nous entoure - comment il se comporte, pourquoi se comporte-t-il ainsi, ce qui se passe en lui -, en le considérant dans un rapport analogique avec ce que nous savons de nous-mêmes.

Disons que les machines deviennent de plus en plus humaines, au moins au sens où Wiener l'entend, en cela qu'on peut établir des comparaisons pertinentes entre leur comportement et le comportement humain. Pourtant, ce que nous connaissons le plus immédiatement et le mieux, est-ce vraiment nous-mêmes ? (3) Plutôt que d'en savoir plus sur nous-mêmes en étudiant nos constructions, ne vaudrait-il pas mieux essayer de comprendre ce qui se passe à l'intérieur de nos constructions en examinant ce qui se passe à l'intérieur de nous-mêmes ?

En vérité ce à quoi nous assistons, c'est sans doute à la fusion progressive de la nature générale de l'activité et de la fonction humaines avec l'activité et la fonction de ce milieu que nous, humains, avons construit et disposé autour de nous. Il y a un siècle à peine, une telle idée aurait paru non seulement anthropomorphique, mais tout simplement absurde. Qu'est-ce qu'un homme de 1750 aurait pu apprendre sur lui-même en observant le comportement d'une petite machine à vapeur ? En la voyant ainsi siffler et chuinter aurait-il pu extrapoler une quelconque compréhension des raisons qui le poussent, lui, à continuellement tomber amoureux du même type de jolie fille ? Cela n'aurait pas tant constitué une forme de pensée primitive de sa part qu'une manifestation pathologiques. À présent, cependant, nous sommes immergés dans un monde artificiel d'une telle complexité et si mystérieuse que, si l'on en croit la conjecture de Stanislas Lem, le célèbre auteur de science-fiction polonais, le temps n'est peut-être pas loin où il pourrait, par exemple, s'avérer nécessaire d'empêcher un homme de violer une machine a coudre. Espérons, si cela devait se produire, qu'il porterait son dévolu sur une machine femelle et que celle-ci ait en tout cas au moins dix-sept ans - quelque chose comme une très vieille Singer à pédale, bien qu'on puisse craindre alors qu'elle ait, malheureusement, dépassé l'âge de la ménopause. 

Philip K. Dick, Androïde contre Humain in Si ce Monde vous Déplaît et Autres Écrits, Éditions L'Éclat, 1972 (1998), p. 21-23. 

Notes

1. Le livre fondateur de Norbert Wiener (1894-1964), Cybernetics, John Wiley & Sons, New York, date de 1948.
2. Leslie et Elmer, les deux cyber-tortues de Grey Walter connurent un grand succès lors de leur présentation en 1950. Réalisées par l'ingénieur William "Bunny" Warren, elles étaient montées sur deux roues motrices et dotées d'un œil électronique pivotant et sensible à la lumière. Les expériences qui purent être réalisées grâce à elles avaient pour but - entre autres - d'analyser la capacité de mémoire ou d'habitude des robots. De nombreux sites sont consacrés à Grey Walter et ses cyber-tortues. L'un d'eux, en français, réalisé par Michel von Guten, relate le type d'expériences auxquelles elles furent soumises : "Grey Walter dessina la première de ses "imitations de vie" en 1948 pour l'assister dans son étude des réflexes simples, et pour tester sa théorie selon laquelle le comportement complexe doit plus à la richesse des interconnections neurologiques qu'au nombre de neurones. ... Grey Walter  donc fabriqué une "tortue" avec un œil électronique pivotant, sensible à la lumière, relié à deux accus reliés eux-mêmes l'un à deux roues motrices, l'autre à un volant de direction. (...) l’œil cherche la lumière et se fixe lorsqu'il voit une lampe. Le courant passer et les roues se mettent en mouvement. La "tortue" roule vers la lumière qui sert d'appât.
Première expérience - On met un objet entre la lumière et la "tortue". La "tortue" approche, mais l'objet faisant ombre sur l’œil, elle s'arrête, l’œil n'étant plus fixé par la lampe. Les roues se dirigent alors au hasard faisant faire à la "tortue" une sorte de valse hésitation jusqu'à ce que "par hasard" l’œil retrouve la lampe et la fixe à nouveau permettant à la "tortue" de reprendre la marche.
Deuxième expérience - On met plusieurs fois de suite l'objet à la même place entre la lampe et la "tortue" au bout d'un certain temps on s'aperçoit que le temps d'hésitation pour détourner l'objet est de plus en plus court ; ensuite elle n'hésite plus et détourne l'objet d'une certaine façon, toujours la même et de plus en plus rapidement... elle se souvient! Elle a acquis une mémoire, une habitude donc. Il y a aussi une troisième expérience avec l’ouïe. Même résultat". (www.vector.ch/michelvg/f/medecine/medecine_13.html, et aussi www.discovery.com/dco/doc/1012/world/inventors/inventors.113096/inventors.html)
3. Question qui fait écho à l'interrogation de saint Augustin (Confessions, X, 16) : "Qu'est-ce qui est plus proche de moi que moi-même ?" et que je cite justement cet autre ontologiste, Heidegger : "Ce qui, ontologiquement, est le plus proche et le mieux connu, est, ontologiquement, le plus éloigné et le plus inconnu". (Sein und Zeit, 43-44). On pourrait ontologico-perversement suggérer que si l'androïde possède un Dasein, c'est une Dasein qui s'est fourvoyé en se cherchant dans la technologie, parce que le recteur Heidegger lui-même s'est fourvoyé à réifier le Dasein en s'alliant à la technologie de l'extermination nazie.

vendredi 13 septembre 2013

Collages Architecturaux.

Christian Kerez, Office Building, Zhengzhou, CN, 2012.



Christian Kerez, Office Building, Zhengzhou, CN, 2012.

Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal, Straw Matting Hut, Niamey, NER, 1984.

Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal, Straw Matting Hut, Niamey, NER, 1984.

1. Un livre décrit des œuvres dont l'auteur a eu l'idée, mais qu'il n'a pas réalisées.

24. Une maison dessinée par un enfant de trois ans est construite.

26. Un immeuble est transformé en cimetière. Les pièces font caveau.

30. Une maison est construite sans utiliser de mètre. Les mesures sont estimées intuitivement. Les matériaux sont contemporains et le style, banal, est celui des pavillons construits en série. Au première regard, la maison semble normale. À mieux y regarder, on remarque de nombreuses erreurs. Les cloisons sont mal jointes. Les marches sont mal assemblées. Les dalles ne sont pas parallèles aux murs. Ces derniers, comme les fenêtres et les portes, ne sont pas d'équerre. Le toit n'est pas étanche.

49. Une revue de décoration, au lieu de présenter de riches et élégantes demeures, montre des maisons modestes et banales. Le support est luxueux : photographes spécialisés, beau tirage, papier glacé. Les articles décrivent l'histoire des lieux, la genèse de leur aménagement, la manière dont les idées de décoration sont venues à leurs occupants. Des légendes donnent les noms des magasins où les objets durent achetés, et à la fin, une rubrique indique les adresses.

52. Des objets sont exposés entre le volume occupé par la matière dont ils sont faits et celui qu'ils peuvent contenir. Le modèle est placé au centre, entouré des deux cubes en plastique noir, de dimensions différentes. Sous cette forme de triptyque sont présentés un homme, un boa, une voiture, une bouteille de vin, une maison.

55. Un livre présente les entrées de communes françaises dont le nom est à la fois propre et commun. Le panneau est au centre de l'image, le village apparaît derrière. Il s'agit de communes, non de lieux-dits ou de hameaux. Les lettres sont noires sur un fond blanc bordé de rouge. La lumière est neutre, diffuse. L'entrée de la commune appelée "VILLES" est reproduite sur la couverture. Trois cent quatre-vingts pages montrent, en couleur, l'entrée des sept centre trente-neuf communes suivantes :

ABONDANCE, ABONDANT, AGNEAUX, AIGUILLES, AIME, AIRE, ALLEGRE, ALLONS, ALTIER, AMBRES, ANDOUILLE, ANGE, ANGLES, ANGOISSE, ANSE, ARCEAU, ARCHES, ATHEE, AUBAINE, AUBE, AUGE, AUTRUCHE, AVEUX, AVION, AVIRON, AVOINE, AVRIL, AZUR, BAINS, BALLON, BALLOTS, BAR, BARON, BARRE, BAUGE, BEAUX, BEDOIN, BENET, BIBICHE, BICHES, BILLE, BIO, BIZOU, BLOND, BOIS, BONNE, BONNES, BORDS, BORNE, BOUCHON, BOUE, BOUEE, BOUILLANTE, BOUILLON, BOUQUET, BOURDON, BOURG, BOURRE, BRANCHES, BRAS, BROC, BROSSES, BROU, BROUSSE, BRU, BRUYERES, BUE, BUISSON, BULLE, BURE, BUS, CABANES, CACAO, CAILLE, CALES, CAME, CAMPAGNE, CANAL, CANARI, CANNELLE, CANNES, CANON, CARS, CASSIS, CAVES, CENTRES, CERISE, CERISIERS, CESSE, CHAMPAGNE, CHANCE, CHANGE, CHANTES, CHAPEAU, CHAPPES, CHARBONNIERES, CHARETTE, CHARGE, CHARME, CHARMES, CHARS, CHASSE, CHATAIN, CHATEAU, CHATTE, CHAUVE, CHAUX, CHEMIN, CHEMINOT, CHEVALINE, CHEVILLE, CHEVREAUX, CHICHE, CIEL, CIERGES, CIEUX, CIGNE, CIGOGNE, CINTRE, CIRES, CITERNE, CIVIERES, CLANS, CLEFS, CLOUE, COINCES, COINGS, COLOMBE, COLOMBES, COLOMBIER, COLOMBIERS, COLONNE, COMBES, COMBLES, CONTE, CONTES, CONTRE, CORBEILLES, CORDON, CORNE, CORPS, COULEUVRE, COURANT, COURBES, COURBETTE, COURS, COURTES, COUTURE, CREANCES, CREUSE, CREVANT, CRISSE, CROIX, CROS, CROSSES, CULTURES, CURES, CUVE, CUVES, DAUPHIN, DEGRE, DESCARTES, DOUE, DOUX, DRAIN, DRAP, DUNES, ECHALAS, ECLOSE, ECOLE, ECUEIL, ECUELLE, ECUELLES, ECURIE, EMBRUN, ENTRE-DEUX, EPARGNES, EPINEUSE, EPRON, ESPERE, ETABLE, ETABLES, ETAIN, ETALLE, ETALON, FA, FACTURE, FALAISE, FAUCON, FAUX, FELINES, FELON, FEUX, FEVES, FIEFS, FINS, FLEURIE, FOLIES, FOLLES, FONTAINE, FONTAINES, FONTES, FORCE, FORGES, FOSSE, FOUGERE, FOUGERES, GARS, GIRON, GORGES, GOYAVE, GRAS, GRENADE, GRIVES, GRUES, GUEUX, GUISE, HANCHES, HERISSON, HOMMES, HOUX, JALONS, JARDINS, JOYEUSE, JOYEUX, JUIF, JUMELLES, JURE, JURY, L'OIE, LA BAFFE, LA COURBE, LA COURONNE, LA COUTURE, LA CRECHE, LA CREUSE, LA CRIQUE, LA FALAISE, LA FEUILLEE, LA FLECHE, LA FLOTTE, LA FOLIE, LA FORCE, LA FORGE, LA GARDE, LA GRAVE, LA LANDE, LA LOGE, LA LOUPE, LA MACHINE, LA MARCHE, LA MARNE, LA MARTRE, LA MARTYRE, LA MONTAGNE, LA MORTE, LA MOUILLE, LA MURE, LA PLAINE, LA PORCHERIE, LA RICHE, LA ROUGE, LA SALLE, LA SOUCHE, LA SOURCE, LA SOUTERRAINE, LA TABLE, LA TACHE, LA TOMBE, LA TOUCHE, LA TOUR, LA TRONCHE, LA VERRIERE, LA VEUVE, LA VILLE, LACS, LAMA, LANCE, LANDES, LANGE, LASSE, LE BATARD, LE BLANC, LE BROC, LE BUIS, LE BUISSON, LE CAMP, LE CHARME, LE COMPAS, LE COTEAU, LE DELUGE, LE DESERT, LE DETROIT, LE DIAMANT, LE DONJON, LE GIVRE, LE GOSIER, LE GRES, LE HAVRE, LE HERON, LE JARDIN, LE LORRAIN, LE MAGE, LE MANOIR, LE MARTINET, LE MAS, LE MIROIR, LE MONT, LE MOULE, LE PALAIS, LE PAS, LE PEAGE, LE PERRON, LE PIN, LE PLAN, LE PORT, LE QUARTIER, LE ROC, LE ROUGET, LE ROUX, LE SOURD, LE TABLIER, LE TAMPON, LE TEMPLE, LE TILLEUL, LE TITRE, LE TRAIT, LE VAL, LE VERT, LENT, LENTILLES, LES ABYMES, LES AIRES, LES ANGLES, LES ARCS, LES ATTAQUES, LES AUTELS, LES BARILS, LES CASSES, LES CHAMBRES, LES CHAPELLES, LES CHERES, LES CHERIS, LE CHOUX, LES CROIX, LES CROUTES, LES DESERTS, LES ECHELLES, LES ECORCES, LES ETANGS, LES FINS, LES FORGES, LES FOSSES, LES GARDES, LES GRAS, LES GROSEILLERS, LES HAIES, LES HALLES, LES HERBIERS, LES HOPITAUX, LES IFS, LES JUMEAUX, LES LECHES, LES LILAS, LES MAGES, LES MARCHES, LES MENUS, LES OLIVES, LES ORMES, LES PAS, LES PEINTURES, LES PENNES, LES PIEUX, LES PINS, LES PLANCHES, LES PLANS, LES PRES, LES RIVES, LES ROCHES, LES ROUSSES, LES SALLES, LES SIEGES, LES TERNES, LES THONS, LES TOUCHES, LES VIGNES, LIGNE, LIMON, LISSE, LONG, LOUE, LOUER, LOUPES, LOURDE, LOURDES, LUISANT, LUXE, LYS, MACHE, MAILLE, MAILLET, MAILLOT, MAIRE, MAISONS, MALE, MARCHES, MARGES, MARNES, MARQUES, MARQUISE, MARS, MAUVES, MAUX, MENTON, MER, MERE, MIRE, MOISSON, MOLLES, MON IDEE, MONNAIE, MORTIERS, MOUCHARD, MOUCHES, MOUSSON, MOUTON, MOYEN, MURET, MURS, NAGES, NOCE, NOYERS, NUITS, ORAISON, ORANGE, ORGELET, ORGES, ORGUEIL, ORMES, ORS, PANTIN, PARIS, PENNE, PERE, PERON, PIANO, PIGEON, PIN, PINCE, PITHIVIERS, PITRES, PLACE, PLAINE, PLAISIR, PLAN, PLANCHES, PLANES, PLATS, PLEURE, PLEURS, PLOMB, POIL, POISSON, POISSONS, POIVRES, POIX, POMMIER, POMMIERS, PONT, PORT, PORTES, PORTO, POSES, POUILLE, PREAUX, PREMIERES, PRUNIERS, PUITS, PURE, QUARANTE, RACINES, RAIDS, RANCE, RANCES, RANG, RAVES, RENNES, REPLONGES, REVEILLON, RI, RICHE, RIEZ, RIONS, RIS, RIVES, RIVIERE, RIVIERES, ROCHE, ROCHER, ROCHES, ROQUEFORT, ROGNON, ROMANS, ROSIERES, ROUGE, ROUILLE, ROUTES, ROUTIER, RUE, SABLONS, SABRES, SAIGNES, SAINTES, SAINTS, SALES, SALLES, SALON, SAULES, SAUVE, SCIEZ, SENS, SERRES, SERS, SERVANT, SIGNES, SIMPLE, SON, SONGEONS, SORBETS, SORBIERS, SOUDE, SOUPIR, SOUTIERS, SOYONS, SUISSE, SURE, SURVIE, SUS, TAILLIS, TALON, TAMPON, TASSE, TAULE, TENDON, TENDU, TENEUR, TERMES, TESSON, TIERCE, TIREPIED, TOURBES, TOURS, TOUSSAINT, TRESSE, TRETEAU, TREVE, TREVES, TRICOT, US, VACHERES, VALENCE, VANNE, VANNES, VELU, VENELLES, VER, VERGNE, VERIN, VERRIERES, VERS, VERT, VERTUS, VIENS, VIEUX, VIF, VIGNES, VILLE, VILLES, VIOLES, VIRE, VITRE, VITREUX, VIVES, VIVIERS, VOGUE, VOISINES, VOUE, VUE, Y.

61. Monumentale, une sculpture en forme de maison est construite en assemblant des plaques de bois par des targettes fermées. Situés à l'extérieur, les verrous fragilisent la maison au lieu de la sécuriser : les ouvrir la ferait s'effondrer.

80. Nouvelles frontières. Dans des zones industrielles, des bâtiments situés à la limite entre la ville et la campagne sont photographiés frontalement. Fast-foods, magasins de meubles, entrepôts industriels, bureaux. Derrière ces architectures contemporaines sans qualité commence la campagne.

135. Dans un vaste espace d'exposition couvert, une maison est reconstruite grandeur nature, réduite à ses cloisons. Ni toit, ni porte, ni placard, ni meuble, ni objet. Le fenêtres sont remplacées par des photographies qui les reproduisent, vues de l'intérieur. Le paysage y apparaît à travers les vitres. 

147. Du deuxième étage d'une maison jaillit un grand tube blanc qui rejoint le sol suivant la trajectoire d'une parabole. La section du tube n'est pas ronde : elle représente un homme en train de tomber, jambes et bras écartés.

156. Une maison est construite avec tous types d'éléments. Portes, fenêtres, escaliers, toits, cheminées, couleurs et revêtements diffèrent. Dissymétrique dans sa structure, dissemblable dans se détails, l'incohérence est son style.

160. Un livre dresse le portrait d'un village en cent photographie couleur, dont aucune n'a été prise dans la même commune. Les lieux représentés, extérieurs ou intérieurs, sont des archétypes neutres. Dans le livre, rien n'indique que ce village en est cent. On ne voit pas d'habitants, les rues sont vides. Sous chaque photographie, un titre nomme le sujet, précédé d'un article défini lorsqu'il est unique. La mairie, l'église, l'épicerie, la boulangerie, le bar-tabac, le restaurant, la maison de la presse, le terrain de sport, la base de loisirs, la piscine, le tennis, le centre équestre, un verger, un jardin, un jardin, un jardin, une maison, une maison, une maison, une maison... Sur la couverture deux mots: "Le Village".

162. Des maquettes d'architecture en plâtre, découpées en tranches dans leur hauteur, sont rassemblées en mélangeant les fragments issus de cinq bâtiments. Les collages architecturaux obtenus, tous différents malgré leur origine commune, sont présentés sur des socles blancs identiques séparés de quelques mètres. Les bâtiments modèles sont : la cathédrale de Tours, la maison de Maurice Ravel, le musée Guggenheim de Bilbao, une ferme normande et la Maison de la Radio.

221. Une maison est reconstituée en matériaux, meubles et objets transparents. Seuls les visiteurs sont opaques.

244. Les portes et les fenêtres d'une maison sont remplacées par des miroirs tournés vers l'extérieur.

316. Anonyme français du vingtième siècle. Des dessins représentant des œuvres d'art contemporain attribués à des artistes imaginaires sont conçus d'après un texte qui est la traduction, en langage d'art contemporain, d'un article consacré à l'architecte Villard de Honnecourt par Simone Schultz. 

Villard de Honnecourt, architecte du Moyen Âge, n'est pas connu pour ses réalisations, mais pour les documents qu'il a laissés sur celles de ses contemporains. Lorsque dans le texte son nom apparaît, il est remplacé par "Anonyme française du vingtième siècle". Les noms des autres architectes de l'époque sont remplacés par ceux d'artistes contemporains fictifs. Si une architecture est mentionnée, la structure syntaxique de sa description est conservée, mais les substantifs et les adjectifs sont modifiés afin de faire apparaître une œuvre d'art contemporain à la place d'une construction du Moyen Âge.

Le texte de Simone Schultz a été écrit dans les années mille neuf cents soixante, et traite d'un sujet antérieur de sept siècles. Le texte dont sont inspirées les œuvres est écrit du point de vue d'un érudit du vingt-septième siècle qui s’intéresserait à l'art du vingtième siècle.

L’œuvre se présente sous la forme d'un carnet de trente-trois dessins, accompagné du texte.

405. Des portes et fenêtres d'une maison émergent des baudruches géantes de la même couleur. La demeure semble remplie d'un immense ballon qui, sur le point d'éclater, tenterait de fuir. 

425. Les façades d'une maison sont ôtées : la structure et le toit sont conservés, mais les murs ajourés. Un homme y mène sa vie avec ses amis. La maison est visible de jour comme de nuit.

440. L'architecture d'un immeuble mime son explosion.

476. Des propositions sont gravées sur les murs d'un bâtiment. Seules celles des parois orientées à l'est sont vraies. 

477. À Paris, un pâté de maisons rasé est transformé en jardin sauvage. Ni plantation ni désherbage : est soigneusement entretenu ce qui y pousse naturellement.

486. Quarante et un lieux parisiens où vécut Charles Baudelaire sont photographiés tels qu'ils sont aujourd'hui. Certaines constructions sont encore en place, d'autres ont été remplacées. Les façades sont photographiés frontalement. Il n'y a pas de passants. Dans l'image, des signes confirment ou contredisent l'énoncé Charles Baudelaire, placé sous chaque tirage comme le titre d'un tableau.

490. Une maison de fumée dont le toit, les portes et les parois sont des rideaux de fumigènes.

506. Une maison dont les murs, l'ameublement et les accessoires sont en guimauve blanche est détériorée au fur et à mesure des interventions des visiteurs. Ils s'appuient sur les murs, s'assoient dans les fauteuils, manipulent les objets, grattent les surfaces ou les mangent. 

513. Un site internet présente des projets d'architectes en vue de la construction d'une ambassade pour les extraterrestres. 

519. Une maison est construite en dressant six écrans de coton blanc, quatre pour les murs et deux pour le toit, au-dessus d'un sol en plexiglas translucide sur lequel on peut marcher. Sur chacun est projeté, de l'extérieur, un film tourné en image par image qui représente, en une minute, ce qui s'est déroulé pendant la journée dans une pièce. Chaque film a été tourné dans une maison différente durant douze heures, à raison d'une image toutes les trente secondes. On rentre par l'écran sur lequel est projeté le film d'une entrée, dont la porte coïncide avec l'ouverture ménagée dans le tissu. À l'intérieur, sur les trois autres murs, sur les deux pans du toit ainsi que sur le sol apparaissent une salle à manger, un salon, une cuisine, une salle de bains et deux chambres. En une minute défilent sept journées et sept lieux. 

Edouard Levé, Œuvres, Éditions P.O.L, 2002, (extraits assemblés à partir de l'index "Architecture").

Merci à M.J. 

vendredi 6 septembre 2013

Rendre Semblable.

Eric B & Rakim, Don't Sweat the Technique, 1992.

L'idéologie de l'"information" par le livre

En général cette image du "public" ne s'affiche pas. Elle n'habite pas moins la prétention qu'ont les "producteurs" d'informer une population, c'est-à-dire de "donner forme" aux pratiques sociales. Les protestations mêmes contre la vulgarisation/vulgarité des médias relèvent souvent d'une prétention pédagogique analogue ; portée à croire ses propres modèles culturels nécessaires au peuple en vue d'une éducation des esprits et d'une élévation des cœurs, l'élite émue par le "bas niveau" des canards ou de la télé postule toujours que le public est modelé par les produits qu'on lui impose. C'est là se méprendre sur l'acte de "consommer". On suppose qu'"assimiler" signifie nécessairement "devenir semblable à" ce qu'on absorbe, et non le "rendre semblable" à ce qu'on est, le faire sien, se l'approprier ou réapproprier. Entre ces deux significations possibles, le choix s'impose, et d'abord au titre d'une histoire dont l'horizon doit être esquissé. "Il était une fois..."

Au XVIIIe siècle, l'idéologie des Lumières voulait que le livre soit capable de réformer la société, que la vulgarisation scolaire transforme les mœurs et les coutumes, qu'une élite ait avec ses produits, si leur diffusion couvrait le territoire, le pouvoir de remodeler la nation. Ce mythe de l'Éducation a inscrit une théorie de la consommation dans la structure de la politique culturelle. Certes, par la logique du développement technique et économique qu'elle mobilisait, cette politique a été conduite jusqu'au système actuel qui inverse l'idéologie hier soucieuse de répandre les "Lumières". Les moyens de diffusion l'emportent désormais sur les idées véhiculées. Le médium remplace le message. Les procédures "pédagogiques" dont le réseau scolaire a été le support se sont développées au point d'abandonner comme inutile ou de briser le "corps" professoral qui les a perfectionnées pendant deux siècles : elles composent aujourd'hui l'appareil qui, en accomplissant le rêve ancien d'encadrer tous les citoyens et chacun en particulier, détruit peu à peu la finalité, les convictions et les institutions scolaires des Lumières. En somme, tout se passe dans l'Éducation comme si la forme de sa mise en place technique s'est réalisée démesurément, en éliminant le contenu même qui l'a rendue possible et qui dès lors perd son utilité sociale. Mais tout au long de cette évolution, l'idée d'une production de la société par un système "scriptuaire" n'a cessé d'avoir pour corollaire la conviction qu'avec plus ou moins de résistance, le public est modelé par l'écrit (verbal ou iconique), qu'il devient semblable à ce qu'il reçoit, enfin qu'il est imprimé par et comme le texte qui lui est imposé. 

Hier, ce texte était scolaire. Aujourd'hui, le texte c'est la société elle-même. Il a forme urbanistique, industrielle, commerciale ou télévisée. Mais la mutation qui a fait passer de l'archéologie scolaire à la technocratie des médias n'a pas entamé le postulat d'une passivité propre à la consommation - un postulat qui justement doit être discuté. Elle l'a renforcé plutôt : l'implantation massive d'enseignements normalisés a rendu impossibles ou invisibles les relations intersubjectives de l'apprentissage traditionnel ; les techniciens "informateurs" ont donc été mués, par la systématisation des entreprises, en fonctionnaires claquemurés dans une spécialité et de plus en plus ignorants des utilisateurs ; la logique productiviste elle-même, en isolant les producteurs, les a amenés à supposer qu'il n'y a pas de créativité chez les consommateurs ; un aveuglement réciproque, généré par ce système, a fini par faire croire aux uns et aux autres que l'initiative ne se loge que dans les laboratoires techniques. Même l'analyse de la répression exercée par les dispositifs de ce système d'encadrement disciplinaire postule encore un public passif, "informé", traité, marqué et sans rôle historique.

L'efficace de la production implique l'inertie de la consommation. Elle produit l'idéologie de la consommation-réceptacle. Effet d'une idéologie de classe et d'un aveuglement technique, cette légende est nécessaire au système qui distingue et privilégie des auteurs, des pédagogues, des révolutionnaires, en un mot des "producteurs" par rapport à ceux qui ne le sont pas. A récuser la "consommation" telle qu'elle a été conçue et (naturellement) confirmée par ces entreprises d'"auteurs", on se donne la chance de découvrir une activité créatrice là où elle a été déniée, et de relativiser l'exorbitante prétention qu'a une production (réelle mais particulière) de faire l'histoire en "informant" l'ensemble du pays.

Michel de Certeau, L'Invention du Quotidien, 1. Arts de Faire, Éditions Gallimard, collection Folio Essais, 1990, p.240-243.