vendredi 29 novembre 2013

Fantasy Prototypes.


Bruce Sterling, Fantasy Prototypes and Real Disruption, 2013.

Those who live by disruption die by disruption.

vendredi 22 novembre 2013

Monarchie & République.

Affiche non attribuée, Affiche électorale pour les législative de 1986, 1986.
 
Ce que je pense du vote et du droit d’élection. Des droits de l’homme.
Ce qu’il y a de vil dans une fonction quelconque.
Un dandy ne fait rien. Vous figurez-vous un dandy parlant au peuple, excepté pour le bafouer ?
Il n’y a de gouvernement raisonnable et assuré que l’aristocratique.
Monarchie ou république, basées sur la démocratie, sont également absurdes et faibles.
Immense nausée des affiches.
Il n’existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer.
Les autres hommes sont taillables ou corvéables, faits pour l’écurie, c’est-à-dire pour exercer ce qu’on appelle des professions.

vendredi 15 novembre 2013

Concentrated Deskwork.

Martin Jaubert & Flavien Menu, A Slight Change of Angle, 2011 (see here).
 
Here is probably an apt place for some exposition on my background re: silence and concentrated deskwork. In hindsight, I know that there was something about the silent, motionless intensity with which everyone in that opened door's instant was studying the tax-related documents before them that frightened and thrilled me. The scene was such that you just knew that if you were to open the door for another brief instant ten, twenty, or forty minutes later, it would look and sound just the same. I had never seen anything like it. Or rather I had, in a way, for of course television and books often portray concentrated study or deskwork just this way, at least by implication. As in e.g. "Irving knucled down and spent the entire morning plowing through the paperwork on his desk"; "Only when she had finished the report did the executive glance at her watch and see that it was nearly midnight. She had been completely absorbed in her task and was famished. Gracious, wherever did all the time go? she thought to herself". Or even just as in "He spent the day reading". In real life, of course, concentrated deskwork doesn't go this way. I had spent massive amounts of time in libraries; I knew quite well how deskwork really was. Especially if the task at hand was dry or repetitive, or dense, or if it involved reading something that had no direct relevance to your own life and priorities, or was work that you were doing only because you had to - like for a grade, or part of a freelance assignment for pay for some lout who was off skiing. The way hard deskwork really goes is in jagged little fits and starts, brief intervals of concentration alternated with frequent trips to the men's room, the drinking fountain, the vending machine, constant visits to the pencil sharpener, phone calls you suddenly feel are imperative to make, rapt intervals of seeing what kinds of shapes you can bend a paperclip into & c. (1). This is because sitting still and concentrating on just one task for an extended length of time is, as a practical matter, impossible. If you said, "I spent the whole night at the library working on some client's sociology paper", you really meant that you'd spent between two and three hours working on it and the rest of the time fidgeting and sharpening and organizing pencils and doing skin-checks in the men's room mirror and wandering around the stacks opening volumes at random and reading about, say, Durkheim's theories of suicide.

David Foster Wallace, The Pale King, Penguin Books, 2012, p.293.

Notes

1. For me, the pencil sharpener is a big one. I like a very particular sort of vert sharp pencil and some pensil sharpeners are a great deal better than others for achieving this special shape, which then is blunted and ruined after only a sentence or two, requiring a large number of sharpened pencils all lined up in a special order of age, remaining height, & c. The upshot is that nearly everyone I knew had distracting little rituals like this, of which rituals the whole point, deep down, was that they were distracting.

vendredi 8 novembre 2013

Attachement & Detachement.

Christian Zander, n/a, 2013.

Il faudrait une histoire sociale des sciences sociales (sur l’anthropologie voir Stocking) qui reste en grande partie à écrire pour montrer le déploiement et la dynamique des solidarités. Mais celles-ci, et c’est là que le changement se trouve si changement il y a, sont maintenant revendiquées par certains sociologues. À une sociologie du dévoilement (le sociologue rend visibles des liens que les acteurs ne voient pas), succède une sociologie qu’on peut qualifier de constructiviste et qu’il serait plus juste d’appeler performative . Son ambition est de restituer et d’analyser la capacité des acteurs à construire les collectifs dans lesquels ils vivent. Aux acteurs agis par des structures, noyés dans des contextes, ballotés par des champs, mis en scène par la sociologie du dévoilement (ou de l’Auflklärung), cette deuxième forme de sociologie substitue des acteurs faisant flèches de tout bois pour constituer de nouveaux collectifs, pour se donner de façon réflexive et volontaire des environnements à leur action et pour les mettre en forme. Cette sociologie attentive aux phénomènes émergents opère en quelque sorte un transfert de compétences. Ce qui caractérisait jadis le savoir-faire du sociologue sert désormais à définir l’acteur qui se dote d’outils lui permettant de reconstituer ces trames invisibles et d’agir sur (et avec) elles. Les questions, généralement qualifiées de théoriques, que le sociologue se posait, voilà qu’on découvre que certains acteurs se les posent, et que c’est parce qu’ils se les posent que ces questions ont des réponses: celles, pratiques, inventées et sanctionnées, dans les cours de l’action elle-même. Le sociologue n’est plus celui qui fait apparaître des explications cachées. Il laisse les acteurs construire leurs identités et les négocier avec d’autres acteurs (Strathern), inventer de nouvelles formes d’organisation, s’interroger sur les conséquences attendues ou non de leurs actions, et il s’efforce de restituer les mécanismes complexes, changeants, foisonnants qui permettent aux acteurs de parvenir à leurs fins. Il participe avec ses propres outils à l’entreprise réflexive, et c’est précisément cette participation qui lui permet à la fois de produire des connaissances et de contribuer à la performation continue du social. L’homo sociologicus est devenu un hybride, à la fois acteur et sociologue.

Le choix des acteurs auxquels le sociologue s’associe est par conséquent crucial. De lui dépendent le contenu et la qualité des connaissances qu’il va produire. On dit dans l’industrie des services que la force d’une entreprise dépend désormais des compétences et de l’imagination des ses clients. La maxime s’applique à la sociologie qui ne peut faire l’économie de cette collaboration avec ceux qu’elle étudie, collaboration qui laisse aux sujets sous analyse tout l’autonomie dont ils ont besoin et qui les dote de tous les instruments d’auto-réflexivité qu’ils requièrent.

(...)

S’attacher à des acteurs pour produire avec eux la théorie de leurs pratiques émergentes, et faire proliférer, avec eux, les porte parole et les entités nouvelles, suppose, par symétrie, une volonté de détachement. 

Détachement de ces acteurs, une fois le travail de transport et de mise en politique realisé (Barthe), mais également travail de détachement d’autres acteurs qui auraient pu être candidats à cette coopération. Tous les acteurs réflexifs et émergents se valent-ils? Je dois dire que je bute sur cette question qui est à la frontière de la morale et de la politique. J’aurais tendance à répondre, et je vois évidemment la filiation avec les Lumières qu’implique ma réponse, que ce qui fait l’intérêt de la vie en société et ce qui la rend tout simplement humaine, c’est cette faculté constante qu’on les acteurs de se déprendre des liens qu’ils tissent dans leur actions, pour ouvrir de nouveaux espaces. Se detacher pour s’attacher autrement: telle me semble être la seule définition acceptable de l’action, qui sans cesser d’être dépendante des actions passées, devient moins déterminée par ces dernières. S’attacher puis se détacher, telle me semble être la seule definition possible du travail sociologique. Ce chassé-croisé définit les positions et les rôles respectifs tout en montrant les complémentarités et les solidarités entre action et analyse de l’action. Aller vers les acteurs qui se donnent pour raison d’être ce travail de détachement et d’attachement, s’attacher à eux pour faciliter le détachement, et s’en detacher quand ils sont pris dans leurs nouveaux attachements (sur les dilemmes moraux engendrés par cette double stratégie d’attachement et de détachement, voir les profondes réflexion de Moser et Law) telle me semble être la seule morale à suivre . 

La période actuelle, avec le retour en force du débat ancien sur le role des intellectuels, est sans doute une des moins favorables qui soit pour ouvrir à nouveaux frais le débat sur la place du sociologue dans la cité. Ce que j’ai essayé de montrer c’est qu’il fallait avoir le courage de se débarasser de ces notions d’un autre temps et qui ont fait leur temps. Ne plus parler d’intellectuel, spécifique ou non, collectif ou non, organique ou non, ne plus s’interroger sur les conditions de l’engagement ou du dégagement, faire son deuil de la prise de distance et de l’universalité: tel me semble être l’effort collectif que nous devons entreprendre. Tous ces mots sont impuissants pour decrire les pratiques réelles des sociologues et la contribution des sciences sociales à la performation toujours locale, toujours recommencée des collectifs hybrides dans lesquels nous vivons. 

La vision que j’ai proposée devrait nous soulager. Au lieu de nous laisser écraser par des responsabilités qui nous dépassent et qui nous accablent, au lieu d’avoir devant les yeux cette terrible interrogation, source de tant de malheurs et d’erreurs: que faire?, laissons nous guider par ces simples questions que nous avons à résoudre au jour le jour: à qui décidons-nous de nous attacher? De qui est-il temps de se detacher? Comment organisons-nous ce détachement et le transport d’un lieu à un autre? Je ne dis pas que les réponses à ces questions sont évidentes; je dis qu’elles sont tout simplement à notre portée, et que, dans les solutions que nous inventons, nous avons le droit à l’erreur sans risquer autre chose que notre propre peau.

Michel Callon, Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé : la double stratégie de l’atta­chement et du détachement in Sociologie du travail, vol. 41, 1, 1999, p.71-72 & 76-77.

vendredi 1 novembre 2013

Objet Technique.

Gilbert Simondon, Entretien sur la Mécanologie, 1968.

Jean-Yves Chateau a raison de le rappeler dans la longue introduction qui ouvre ce recueil : le souci de l’invention, chez Simondon, n’est pas une manière de dramatiser l’histoire des techniques, c’est une véritable méthode de recherche et d’analyse - mieux, un critère de ce qui est proprement technique, de ce qui fait de la technique "un ordre original de réalité" (p. 14). Aussi l’invention dans le domaine des techniques ne relève-t-elle pas à proprement parler d’une investigation psychologique "au sens habituel du terme", comme le précise Simondon (p. 332). Elle ne se confond pas avec la "créativité" de l’inventeur au travail ; elle ne peut apparaître que rétrospectivement, dans les gestes matérialisés, stabilisés en procédés, dans les objets inventés et les indices matériels de leur élaboration (schémas, prototypes, etc.). On ne lit pas à livre ouvert dans l’esprit des inventeurs : l’esprit est une boîte noire. Qu’il s’agisse du fil à couper le beurre ou de la turbine Guimbal, l’invention doit se lire dans les "traces". La psychologie de l’invention technique suppose donc une forme d’archéologie, et le sujet de l’invention, qu’il soit individuel ou collectif, laborieux ou génial, est toujours un sujet reconstruit à travers ses objets - un sujet technologique plutôt que psychologique. Ainsi la psychologie se confond finalement avec une phénoménologie des objets techniques dont les chemins ne cessent de recroiser ceux de la technologie et de l’histoire des techniques. Mais elle n’est pas séparable non plus d’une ontologie qui interroge le "mode d’existence" de l’objet technique à partir de ce qui fait proprement sa technicité (6). On objectera peut-être ici qu’à moins d’être technicien ou technologue, nous n’avons quasiment jamais affaire à des "objets techniques", mais d’emblée à des ustensiles ou à des machines dont le mode d’être n’est pas séparable de modes d’emploi ou d’usages particuliers. Il y a trois manières de répondre à cela. D’abord, l’objection concède à Simondon le point essentiel, à savoir que les objets techniques n’ont pas l’évidence qu’on leur prête habituellement. À strictement parler, nous ne savons pas ce qu’est un objet technique ; nous ignorons ce qu’il y a de spécifiquement technique dans les objets artificiels dont nous usons le plus souvent sans y penser. L’objet technique est-il d’ailleurs un objet ? Les catégories ordinaires qui nous servent à déployer les modes de l’objectivité ne nous masquent-elles pas l’essentiel ? Ensuite, au niveau fondamental où Simondon prend les choses, le point de vue de la fonctionnalité ou de l’utilité nous détourne de ce qui est proprement technique. L’objet technique n’est d’ailleurs pas nécessairement un outil ou un instrument : il peut être un ustensile, ou une machine présentant des degrés de complexité variables. Or un balai, un aspirateur, peuvent bien servir tous deux à ramasser de la poussière, cet usage commun ne les rapproche pas davantage que le fait de voisiner dans un placard. Enfin, si l’outil et l’instrument remplissent en effet une fonction médiatrice, une fonction de couplage entre un organisme et son milieu, l’essentiel pourtant n’est pas dans ce couplage et les diverses fonctions qu’il remplit : fonction de prolongement (cas de la pince à long bec), fonction de transformation (bras de levier de la pince), fonction d’isolement (pince gainée). Leroi-Gourhan, parmi d’autres, a produit des descriptions et des classifications précises des formes fondamentales de la médiation opérée par l’outil. Cependant, tout reste à faire pour ce qui est d’isoler les critères de la "technicité" et de cerner la nature de l’objet technique. Car "la fonction relationnelle n’est pas la seule : même au niveau le moins élevé, les objets techniques ont une logique interne, une auto-corrélation sans laquelle ils ne pourraient exister" (p. 91).

Elie During, Simondon au Pied du Mur in Critique, 706, 2006.