vendredi 20 janvier 2012

Le Pli.

Robert Lang, Flapping Birds & Space Telescopes, 2008.

1. Le pli: le Baroque invente l’œuvre ou l'opération infinies. Le problème n'est pas comment finir un pli, mais comment le continuer, lui faire traverser le plafond, le porter à l'infini. C'est que le pli n'affecte pas seulement toutes les matières, qui deviennent aussi matières d'expression, suivant des échelles, des vitesses et des vecteurs différents (les montagnes et les eaux, les papiers, les étoffes, les tissus vivants, le cerveau), mais il détermine et fait apparaître la Forme, il en fait une forme d'expression, Gestaltung, l'élément génétique ou la ligne infinie d'inflexion, la courbe à variable unique. 

(...)

4. Le dépli: ce n'est certes pas le contraire du pli, ni son effacement, mais la continuation ou l'extension de son acte, la condition de sa manifestation. Quand le pli cesse d'être représenté pour devenir "méthode", opération, acte, le dépli devient le résultat de l'acte qui s'exprime précisément de cette façon. Hantaï commence par représenter le pli, tubulaire et fourmillant, mais bientôt plie la toile ou le papier. Alors, c'est comme deux pôles, celui des "Études" et celui des "Tables". Tantôt la surface est localement et irrégulièrement pliée, et ce sont les côtés extérieurs du pli ouvert qui sont peints, si bien que l'étirement, l'étalement, le dépliement fait alterner les autres. Tantôt c'est le solide qui projette ses faces internes sur une surface plane régulièrement pliée suivant les arêtes: cette fois, le pli a un point d'appui, il est noué et fermé à chaque intersection, et se déplie pour faire circuler le blanc intérieur. Tantôt faire vibrer la couleur dans les replis de la matière, tantôt faire vibrer la lumière dans les plis d'une surface immatérielle. Pourtant, qu'est-ce qui fait que la ligne baroque est seulement une possibilité d'Hantaï? C'est qu'il ne cesse d'affronter une autre possibilité, qui est la ligne d'Orient. Le peint et le non-peint ne se distribuent pas comme la forme et le fond, mais comme le plein et le vide dans un devenir réciproque. C'est ainsi qu'Hantaï laisse vide l’œil du pli, et ne peint que les côtés (ligne d'Orient); mais il arrive aussi qu'il fasse dans la même région des pliages successifs qui ne laissent plus subsister de vides (ligne pleine baroque). Peut-être appartient-il profondément au Baroque de se confronter à l'Orient. C'est déjà l'aventure de Leibniz avec son arithmétique binaire: en un et zéro Leibniz reconnaît le plein et le vide à la manière chinoise; mais Leibniz baroque ne croit pas au vide, qui lui semble toujours rempli d'une matière repliée, si bien que l'arithmétique binaire superpose les plis que le système décimal, et la Nature elle-même, cache dans des vides apparents. Les plis sont toujours pleins dans le Baroque et chez Leibniz.

Gilles Deleuze, Le Pli, Leibniz et le Baroque, Éditions de Minuit, 1988, p.48-51.

Merci à P.D.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire