Gérard Colé & Jacques Pilhan, L'Homme qui Veut, 1981 |
Le désir d'être rassuré s'est fortement développé au cours des dernières années et imprègne maintenant plus d'un tiers des Français. Il est au confluent de deux perceptions. D'abord le monde extérieur parait de plus en plus dangereux, l'avenir économique de plus en plus incertain et l'évolution des mœurs de plus en plus rapide. Une profonde impression de désordre et de menace naît de la rapidité des changements en cours et de la difficulté qu'éprouvent nos institutions nationales à s'y adapter. Bon nombre de nos concitoyens éprouvent le besoin d'être protégés et il va de soi qu'ils tiendront compte de cette dimension dans le choix d'un Président de la République. Ensuite, la violence de quelques-uns parait d'autant plus insupportable que le droit à la différence est davantage reconnu et que la tolérance a fait des progrès. Le niveau des violence sanglante a beau être, en France, relativement stable et bas, la sensibilisation à cette violence ne cesse, elle, d'augmenter. Nos contemporains sont de plus en plus nombreux à détecter intuitivement les processus qui risqueraient d'engendrer de la violence et cherchent à les désamorcer. Cette préoccupation affleurera nécessairement le jour du scrutin.
(...)
. SAGE (positif de "vieux")
- Il a réglé le conflit plaisir/réalité, base inconsciente de l'opposition gauche-droite.
- Il a des ambitions pour son pays, pas pour lui.
- C'est l'homme serein, de la paix intérieure.
. REALISTE (positif de "rural/intellectuel")
- Il aime le bon sens.
- Il est proche des gens, de leur quotidien. Il a des préoccupations concrètes.
- Il a une longue expérience.
- Les faits lui donnent très souvent raison.
. VRAI (positif de "perdant")
- Il est, par nature non partisan.
- Il fait un bilan sincère, non polémique.
- Il annonce des sacrifices pour atteindre les buts proposés : il faut payer le prix.
- Il a une grande capacité d'écoute et de compréhension.
. COURAGEUX (positif de "tacticien habile")
- Il tranche l’ambiguïté de la relation avec le P.C.
- Il redistribue les cartes politiques en fonction des aspirations réelles des citoyens.
- Il s'attaque au monarque.
. PASSIONNE (positif de "littéraire")
- Il défend les causes justes et le droit des gens (pas seulement le Droit abstrait).
- Il se bat quelles que soient les conséquences.
. TENACE (positif de "entêté")
- Il dit la même chose depuis 1965.
- Il a remonté le P.S. contre vents et marées.
- Il veut un destin pour la France.
. HOMME D'ETAT (positif de "mauvais économiste")
- Il ne cherche pas à assumer l'image technocratique.
- Il défend l'intérêt général.
- Il a autour de lui un "brain trust" hyper compétent et non politicien.
- Ce n'est pas seulement l'homme du P.S.
- Il a une vision historique et politique.
C'est "l'homme qui veut". Il sait mobiliser et prendre les initiatives indispensables. C'est Roosevelt en 1932 qui sort les États-Unis de la crise mondiale.
Gérard Colé & Jacques Pilhan, Mitterand contre Giscard, c'est l'Homme qui Veut contre l'Homme qui Plait ou Roosevelt contre Louis XV, note stratégique à l'attention de François Mitterand, 1981.
(...)
Le Débat. - S'il y avait une tendance nouvelle et significative dans la société française d'aujourd'hui, où la situeriez-vous ?
J.P. - Dans un phénomène encore très négligé qui est le développement de la population de ce que les Américains appellent les commuters, c'est-à-dire des gens qui travaillent loin de leur domicile parce qu'ils ont voulu être propriétaires et que le prix du foncier a chassés loin des villes. Ils ont un mode de vie tout à fait différent des autres Français. Un mode de vie structuré par le triangle géographique travail-maison-hypermarché. Ils habitent jusqu'à une heure de leur lieu de travail. La journée, ils roulent et ils travaillent. Ils rentrent chez eux le soir, ils regardent un peu la télé et ils dorment. Leur grande revanche sur les urbains, c'est d'être à la campagne. Ils en jouissent le week-end, avec des demandes d'équipement et des demandes associatives considérables, des consommations de médias tout à fait originales et nouvelles. Ils roulent beaucoup en voiture : ils écoutent donc beaucoup la radio. Le week-end, ils lisent les mensuels qui correspondent à leur hobby - loisir de plein air, sport ou équipement de la maison. Ces gens, que nous ne savons pas trop comment appeler - certains parlent de rurbains - représentent plus de 30 pour cent de la population française. Ce sont eux qui sont structurants, qui nous indiquent comment les choses vont évoluer. Or ils sont absents des préoccupations des sociologues. Ils sont même absents des matrices des sondages. Ils sont dans les interstices, dans les plis de la société française.
Le Débat. - Quelles sont leurs orientations ou leurs préférences politiques ?
J.P. - Ce sont des gens qui font du consumérisme politique. Il y a deux personnages qui les intéressent : le président de la République, parce que de lui dépendent la paix, la guerre, et puis leur maire. Ils vont se mobiliser de manière très forte pour des causes de proximité. Ils veulent des maires à plein temps. Les gens célèbres qui font autre chose à Paris ne les intéressent pas. On en a vu les effets lors des dernières municipales. Entre le président de la République et le maire, il y a peu, voire rien. Le vote de ces gens va se déterminer en fonction de paramètres tout à fait nouveaux. Les années 1970 et 1980 ont vu le triomphe de ce qu'on appelait à l'époque "les styles de vie". Or, aujourd'hui, les comportements, y compris électoraux, s'expliquent par le mode de vie, et non par le style, et cette population nouvelle en est l'illustration exemplaire.
La télé est le média qui convient particulièrement à ce rurbain. Non pas parce qu'il la regarde beaucoup, mais parce qu'elle s'ajuste exactement à sa perception des choses. Il ne connaît que le président de la République et son maire. Eh bien, la télé, c'est pareil, il n'y a pas de plan moyen, il y a le monde et mon nombril. Les rurbains tendent à éliminer tout ce qui est intermédiaire, comme la télé tend à éliminer les plans moyens et comme la société française est en train d'éliminer les corps intermédiaires. Le monde, la proximité, et entre les deux rien : c'est cela qui me semble aujourd'hui caractériser l'évolution de l'ensemble société et médias. Il n'y a plus de distances, seulement du temps.
Jacques Pilhan, L'Écriture Médiatique in Le Débat, n°87, 1995, p.13-14.
Merci à M.S.
(...)
Le Débat. - S'il y avait une tendance nouvelle et significative dans la société française d'aujourd'hui, où la situeriez-vous ?
J.P. - Dans un phénomène encore très négligé qui est le développement de la population de ce que les Américains appellent les commuters, c'est-à-dire des gens qui travaillent loin de leur domicile parce qu'ils ont voulu être propriétaires et que le prix du foncier a chassés loin des villes. Ils ont un mode de vie tout à fait différent des autres Français. Un mode de vie structuré par le triangle géographique travail-maison-hypermarché. Ils habitent jusqu'à une heure de leur lieu de travail. La journée, ils roulent et ils travaillent. Ils rentrent chez eux le soir, ils regardent un peu la télé et ils dorment. Leur grande revanche sur les urbains, c'est d'être à la campagne. Ils en jouissent le week-end, avec des demandes d'équipement et des demandes associatives considérables, des consommations de médias tout à fait originales et nouvelles. Ils roulent beaucoup en voiture : ils écoutent donc beaucoup la radio. Le week-end, ils lisent les mensuels qui correspondent à leur hobby - loisir de plein air, sport ou équipement de la maison. Ces gens, que nous ne savons pas trop comment appeler - certains parlent de rurbains - représentent plus de 30 pour cent de la population française. Ce sont eux qui sont structurants, qui nous indiquent comment les choses vont évoluer. Or ils sont absents des préoccupations des sociologues. Ils sont même absents des matrices des sondages. Ils sont dans les interstices, dans les plis de la société française.
Le Débat. - Quelles sont leurs orientations ou leurs préférences politiques ?
J.P. - Ce sont des gens qui font du consumérisme politique. Il y a deux personnages qui les intéressent : le président de la République, parce que de lui dépendent la paix, la guerre, et puis leur maire. Ils vont se mobiliser de manière très forte pour des causes de proximité. Ils veulent des maires à plein temps. Les gens célèbres qui font autre chose à Paris ne les intéressent pas. On en a vu les effets lors des dernières municipales. Entre le président de la République et le maire, il y a peu, voire rien. Le vote de ces gens va se déterminer en fonction de paramètres tout à fait nouveaux. Les années 1970 et 1980 ont vu le triomphe de ce qu'on appelait à l'époque "les styles de vie". Or, aujourd'hui, les comportements, y compris électoraux, s'expliquent par le mode de vie, et non par le style, et cette population nouvelle en est l'illustration exemplaire.
La télé est le média qui convient particulièrement à ce rurbain. Non pas parce qu'il la regarde beaucoup, mais parce qu'elle s'ajuste exactement à sa perception des choses. Il ne connaît que le président de la République et son maire. Eh bien, la télé, c'est pareil, il n'y a pas de plan moyen, il y a le monde et mon nombril. Les rurbains tendent à éliminer tout ce qui est intermédiaire, comme la télé tend à éliminer les plans moyens et comme la société française est en train d'éliminer les corps intermédiaires. Le monde, la proximité, et entre les deux rien : c'est cela qui me semble aujourd'hui caractériser l'évolution de l'ensemble société et médias. Il n'y a plus de distances, seulement du temps.
Jacques Pilhan, L'Écriture Médiatique in Le Débat, n°87, 1995, p.13-14.
Merci à M.S.
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