Auteur non attribué, Rhizome Network // Foam, 2012 (via archaesthetic). |
Pendant quatre siècles, la science s'est bâtie sur l'application de principes mathématiques conquis par Galilée et ses successeurs. Sa formidable réussite, qui a permis l'avènement de la culture technologique moderne, s'est appuyée sur une pratique scientifique reposant sur l'épistémologie cartésienne du réductionnisme, c'est-à-dire sur l'idée que pour comprendre un phénomène il faut considérer comment on peut le décomposer et étudier les interactions de ses composants. De proche en proche, des sciences de l'Homme à la physique, cette épistémologie aboutit au physicalisme, doctrine défendue aujourd'hui par de nombreux physiciens des particules, qui voient leur spécialité comme la science reine, l'ultime savoir explicatif de toutes choses.
Les révolutions intellectuelles et les changements de paradigmes scientifiques ne se font pas en un jour. L'héliocentrisme n'est pas apparu d'un coup comme une évidence, mais avait été préparé et longuement mûri grâce à des astronomes tels qu'Aristarque de Samos, Copernic, Kepler, ou à des philosophes comme Giordano Bruno, avant d'apparaître comme une clarté éblouissante chez Galilée astronome. De même, l'idée d'émergence, c'est-à-dire celle de l'apparition de propriétés nouvelles quand on gravit les échelles de complexité des objets que nous propose la nature, a été longuement mûrie chez des philosophes tels que John Stuart Mill, Alfred North Whitehead, Karl Popper, des biologistes tels que Ernst Mayr et Roger Sperry, des physiciens tels que Robert B. Laughlin. Dans les années 1920, le concept fit une percée considérable sous la plume d'auteurs anglais tels que Charlie Dunbar Broad, Samuel Alexander et Conwy Lloyd Morgan, mais le mouvement s'étiola, sans jamais s'éteindre tout à fait, dans les décennies suivantes sous les critiques du matérialisme scientifique. Ces dernières décennies cependant, l'idée d'émergence a été remise à l'honneur et apparaît aujourd'hui à une minorité agissante comme une nouvelle évidence.
Nous sommes donc peut-être à l'une de ces périodes privilégiées, à l'instar du Dialogue sur les deux principaux systèmes du monde, où un changement de perspective entraînera une meilleure compréhension du monde. Cette fois, ce ne sont pas les astronomes qui sont en première ligne, mais plutôt les chimistes, les physiciens du solide, des biologistes et des neurophysiologistes, accompagnés bien sûr par un nombre croissant de philosophes. Un petit nombre d'entre eux proposent de renverser, au sens propre, l'ancienne épistémologie : au lieu que les propriétés de l'Univers dépendent de celles de ses parties, les propriétés de toutes les parties de l'Univers dépendraient de l'Univers tout entier. À l'image d'un Galilée, pour qui les cieux étaient trop grands pour être subordonnées à la Terre, les "émergentistes" pensent non seulement que le tout est plus que la somme des parties, qu'il en conditionne non seulement le comportement, mais même les lois auxquelles ces parties obéissent. Ils constatent que les "acteurs" principaux de l'émergence sont le temps et l'environnement, les deux vrais universaux philosophiques, dont la nature et le mode d'action dans le monde sont parmi les problèmes les plus difficiles à saisir.
Rémy Lestienne, Dialogues sur l'Émergence, Éditions Le Pommier, 2012, p.18-19.
1 commentaire:
Bonsoir Audrey,
Je m'excuse pour cette réponse tardive. Je ne connais pas Paperblog. Toutefois, je serais ravis d'examiner votre demande. Pourriez-vous s'il vous plaît m'en dire un peu davantage?
Vous pouvez me joindre à l'adresse suivante :
p r o f . b o u r b a k i [ a t ] g m a i l . c o m
La graphie ci-dessus devrait se deviner si vous n'êtes pas un robot :-)
Bien à vous
Professor Bourbaki
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