Hugo Pratt, Les Hommes-léopards du Rufiji, 1978. |
Lorsque nous scrutons l'image de Corto, nous voyons quoi ? Un organisme dont la matière est à chercher du côté du vide ou du côté plein ? de l'eau ou de l'air ? du noir ou du blanc ? La vieille blague à propos des zèbres (qui inspirèrent la première planche, célèbre, des Hommes-léopards) : "Est-ce un animal blanc à raies noires ou noir à raies banches ?" s'applique à merveille à Corto tel que le dessinait Pratt, y compris dans les albums prévus pour la couleur. La réponse à ce drôle de problème - qui ne concerne pas que les zèbres ! - nous ramène au cercle du Tao : pour qu'une figure vive, il faut qu'il y ait en elle une respiration entre les valeurs opposées qui la constituent. Dans la silhouette de Corto, cernée d'un trait à la fois ouvert et clos, l'air circule divinement bien. Un lecteur novice, ouvrant pour la première fois n'importe quel album, peut tout ignorer de la psychologie du héros, de ses valeurs, que déjà, plaisir purement visuel, cette qualité particulière de l'atmosphère qui l'environne, en laquelle il se meut, l'attache à lui. De même un survol ou simplement l'observation d'une carte de la plus belle des îles, Venise, dévoile, à travers l'étendue d'un paysage infiniment parcellisé, cet équilibre bouleversant entre la terre et les sinuosités de l'eau. Corto, dans son corps même, ressemble à cette ville dont Pratt toujours se souvenait.
Thierry Thomas, Les Roi des Ombres et des Eaux in Le Voyage Imaginaire d'Hugo Pratt, catalogue de l'exposition à la Pinothèque de Paris, Éditions Casterman, 2011, p.15-16.
Merci à P.L.
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