Angelo Borrego Cubero, The Competition, forthcoming (via arch daily) |
La relation entre architecture et politique a fait l'objet, au fil des années, de nombreuses recherches. Le rôle de l'architecte et de l'urbanisme a été analysé comme la projection au sol de l'image des institutions sociales, comme la traduction fidèle en villes ou en bâtiments des structures de la société. Ces analyses soulignent la difficulté qu'a l'architecture à agir comme instrument politique. Convoquant avec nostalgie le cri de ralliement un peu étouffé des "condensateurs sociaux" révolutionnaires dans la Russie des années vingt, certains ont pu prôner l'utilisation de l'espace comme un outil pacifique de transformation sociale, comme un moyen de modifier le rapport entre l'individu et la société en fabriquant de nouveaux modes de vie. Mais les "clubs" et autres bâtiments communautaires qui étaient proposés présupposaient non seulement l'existence d'une société révolutionnaire, mais exigeaient aussi la croyance aveugle en une lecture du béhaviorisme selon laquelle le comportement d'un individu pouvait être influencé par l'organisation de l'espace. Les révolutionnaires de l'architecture, conscients que l'organisation spatiale pouvait certes modifier temporairement le comportement d'un groupe ou d'un individu, mais n'impliquait pas de changement dans la structure socio-économique d'une société réactionnaire, continuèrent de chercher ailleurs de meilleures bases. Leurs tentatives pour trouver à l'architecture un rôle qui soit sinon révolutionnaire, du moins socialement agissant, culminèrent dans les années qui suivirent les événements de Mai 68, avec les bâtiments dits de "guérilla". La valeur symbolique et exemplaire de ces derniers résidait dans leur détournement de l'espace urbain et non dans l'aspect de ce qui était construit. Sur le front culturel, le mouvement "radical" italien concevait le projet d'une destruction des systèmes de valeurs établis, à la manière surréaliste. Ce pré-requis nihiliste du changement économique et social constituait une tentative désespérée d'utiliser les moyens d'expression de l'architecte pour dénoncer les orientations prises par les institutions en les traduisant en termes architecturaux: "vérifier où allait le système", dans une approche pleine d'ironie, en concevant les villes d'un futur sans espoir.
Sans surprise, c'est la question du système de production qui conduisit finalement à des propositions plus réalistes. Visant à une redistribution de la division capitaliste du travail, ces propositions cherchaient à comprendre de manière nouvelle le rôle des techniciens dans la construction, dans le cadre d'un partenariat réfléchi, directement inscrit dans le cycle de production, déplaçant ainsi le concept d'architecture vers l'organisation générale des processus de construction.
C'est pourtant la position bien peu réelle (ou bien peu réaliste) de l'artiste ou de l'architecte qui pourrait constituer leur réalité même. Exception faite de la dernière position évoquée ci-dessus, la plupart des approches politiques pâtissaient de l'isolement des écoles d'architecture qui tentaient d'offrir à la révolution leur connaissance de l'environnement. L'architecture selon Hegel ("le supplément") n'avait pas, semble-t-il, l'étoffe révolutionnaire requise. Où l'avait-elle, après tout? L'architecture recèle-t-elle, dans son isolement si ancien, davantage de pouvoir révolutionnaire que toutes ses transpositions dans les réalités objectives de l'industrie de la construction et de l'habitat social? Est-ce précisément dans l'absence de fonction de l'architecture que se trouve sa fonction sociale? Il se pourrait en définitive que l'architecture n'ait guère d'autre raison d'être.
Bernard Tschumi, Le Paradoxe Architectural in Architecture et Disjonction, Éditions HYX, 1994 (2014), p.39-41.
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