Hans Otte, Buch der Klänge XI, 1979-1982.
Les différents processus de mutation d'un son en un autre son ou d'un ensemble de sons en un autre ensemble constituent la base même de mon écriture musicale, l'idée première, le gène de toute composition.
Le matériau découle du devenir sonore, de la macrostructure et non l'inverse. Autrement dit, il n'y a pas de matériau de base (cellule mélodique, complexe de sons, durées, etc.), dont la grande forme constituerait une sorte de développement a posteriori. C'est le processus qui est premier, c'est lui qui gère la mutation des figures sonores et qui amène à en créer sans cesse de nouvelles. Je suis même étonné de découvrir à quel point les sons engendrés par ces processus dépassent, et de loin, ceux que l'on pourrait imaginer a priori, abstraitement et hors du temps.
Dans ma musique, le son n'est jamais considéré pour lui-même mais toujours passé au crible de son histoire: où va-t-il? d'où vient-il? Telle est la question que je me pose à chaque instant de la partition que j'écris.
À la limite, on pourrait dire que le matériau n'existe plus en tant que quantité autonome mais qu'il est sublimé en un pur devenir sonore sans cesse en mutation. Insaissisable dans l'instant, il ne se laisse discerner et appréhender que dans la durée.
Mais cette affirmation m'amène à en rectifier le contenu, car c'est bien en fonction de leurs qualités acoustiques propres que les différents types de sons sont intégrés au processus et qu'ils déterminent une certaine durée. Il existe donc, en fait, un réseau de relations continuelles, un incessant va-et-vient de la pensée entre le matériau et le processus comme entre le micro et le macrocosme.
Déterminer de quelle figure sonore il part et vers quelle autre figure il s'achemine, tel me semble être le choix essentiel du compositeur aujourd'hui. Reste le temps, le temps de cette mutation, qui est la forme même de son délire.
DYNAMISME
Il m'est désormais impossible de considérer les sons comme des objets définis et permutables entre eux. Ils m'apparaissent plutôt comme des faisceaux de forces orientées dans le temps. Ces forces - c'est à dessein que j'emploie ce mot et non le mot forme - sont infiniment mobiles et fluctuantes; elles vivent comme des cellules, avec une naissance et une mort, et surtout tendent à une transformation continuelle de leur énergie. Le son immobile, le son figé n'existe pas, pas plus que ne sont immobiles les strates rocheuses des montagnes.
Par définition, disons que le son est transitoire. Un instant isolé ne se définit pas, non plus d'ailleurs qu'une suite d'instants isolés minutieusement décrits et placés de bout en bout.
Ce qui nous approcherait d'une meilleure définition du son, serait la connaissance de l'énergie qui la traverse de part en part, et du tissu de corrélations qui gère tous ses paramètres.
On peut rêver une écologie du son, comme science nouvelle mise à disposition des musiciens...
Déjà, la pratique du studio électronique nous a fait apprécier les composantes du son, non comme des données isolées, ainsi que l'a si bien fait remarquer la musique sérielle en définissant et en isolant soigneusement les paramètres, mais comme un réseau complexe d'interactions et de réactions multiples entre ces paramètres. Chacun sait, par exemple, que deux sons ayant des fréquences très proches provoquent des battements. Si ces battements sont très rapides, ils altèrent le timbre, s'ils sont plus lents, ils engendrent des événements périodiques que nous percevons comme des rythmes. On sait aussi que l'intensité est déterminante pour la perception de la hauteur, que l'appréciation du timbre est, pour une large part, fonction de la durée etc. On pourrait ainsi allonger infiniment la liste des ces interférences qu'engendrent nos capacités perceptives et leurs limites.
D'autre part, il n'est pas inutile de rappeler que les paramètres ne sont qu'une grille de lecture, une simplification, une sorte d'axiome qui nous permet d'aborder le problème du son. Ils n'ont cependant aucune existence réelle pour l'écoute car nous percevons le son globalement, totalement et non analytiquement.
BALISES
Il reste que nos sens, dans leurs limites, ont besoin de repères pour apprécier un quelconque mouvement. Il ne s'agit ni d'une cellule sonore ni d'un matériau de base à développer mais d'une sorte de balise infiniment simple que chacun doit pouvoir percevoir et mémoriser. Nous en retiendrons deux:
- la périodicité rythmique;
- le spectre d'harmoniques (autre forme de périodicité).
PERCEPTION: LE SEMBLABLE ET LE DIFFÉRENT
Notre perception est relative; elle compare sans cesse l'objet qu'elle vient d'appréhender à un autre perçu auparavent ou encore virtuel, localisé dans notre mémoire. La différence ou l'absence de différence qualifie toute perception.
Nous ordonnons ainsi le perçu non en fonction d'une norme unique mais en l'insérant dans un réseau de relations pour en dégager la qualité intrinsèque.
En d'autres termes, un son n'existe qu'en raison de son individualité et cette individualité ne se révèle que dans un contexte qui l'éclaire et lui donne sens.
Je considère comme essentiel, pour le compositeur, d'agir non plus sur le seul matériau mais sur le vide, sur la distance qui sépare un son d'un autre son. Aborder le semblable et le différent comme base même de la composition musicale permet en effet d'éviter deux écueils: la hiérarchie et l'égalitarisme.
Gérard Grisey, Devenir du Son in Écrits ou l'Invention de la Musique Spectrale, Éditions MF, 2008, p.27-30.
Merci à F.M.
Merci à F.M.
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