|
Mathilde Guillemot, Carte 12, 2013. |
L'ÉTUDE DES ŒUVRES
LE DÉBUTANT étudie dès la première phase l’œuvre d'un maître, mais en concentrant son attention sur les problèmes techniques de l'exécution et en se servant principalement du modèle pour mesurer le contrôle qu'il exerce sur son instrument. Il s'imprègne cependant de son son modèle et finit par en avoir une connaissance intime qui lui permet non seulement de le reproduire de mémoire avec toutes ses particularités stylistiques mais aussi d'extrapoler, c'est-à-dire d'écrire dans la manière du maître des caractères qui ne figurent pas dans l’œuvre étudiée. Le moment vient alors de s'en détacher et d'aborder une œuvre nouvelle.
Ce passage, qui marque l'entrée dans la deuxième phase de l'apprentissage, est un moment important. Lorsqu'il aborde une deuxième œuvre, l'élève y entre avec beaucoup plus de facilité et prête tout de suite une partie beaucoup plus grande de son attention à ses particularités stylistiques, à sa valeur expressive. En y pénétrant, il se dégage des habitudes contractées au cours de son premier apprentissage, habitudes dans lesquelles se résumait pour lui la calligraphie, et fait l'expérience d'une métamorphose. Il arrive qu'après l'éducation qu'a été la phase initiale, cette nouvelle étape ressemble à une première expérience amoureuse : en entrant dans l’œuvre nouvelle, en s'identifiant à elle, le calligraphe en herbe a le sentiment grisant de s'affranchir de tout ce qu'il a été jusqu'ici. Voyant naître sous son pinceau des formes différentes, il pressent aussi la diversité des ressources expressives que la calligraphie va mettre à sa disposition. Il découvre qu'à chaque style correspondent des dispositions intérieures différentes et que par conséquent, la calligraphie est bien un moyen d'exprimer une expérience intime.
Mais n'allons pas trop vite. Si le travail est désormais d'une autre nature que dans la première phase, il exige la même patience et la même attention. L'élève étudie de nouveau minutieusement les caractéristiques de l’œuvre, qu'elles relèvent de la manœuvre du pinceau ou de l'agencement des caractères, et cherche à s'en approprier le secret. Il la pratique assidûment et progresse de nouveau jusqu'au point où il la reproduit de mémoire et peut extrapoler. À la faveur de cette expérience, il affine et enrichit sa technique, bien sûr, mais approfondit surtout son intuition de la valeur expressive des formes.
L'apprentissage commence toujours pas la régulière (1). La deuxième œuvre sera une régulière d'un style différent (le Diplôme autographe de Yan Zhenqing après le Palais neuf fois parafait d'Ouyang Xun par exemple) ou, selon les cas, une œuvre en courante ou en cursive. Un bon maître indique à l'élève quand vient le moment de se détacher du première modèle et le conseille dans le choix du deuxième, d'après les penchants de l'élève, mais aussi dans le souci de corriger ses travers et des limites : il lui recommandera une écriture empreinte de bonhomie ou de sensualité s'il s'est montré austère ou guindé, ou une écriture vigoureuse et volontaire s'il a été trop placide. Il l'engagera à faire de la cursive s'il lui a trouvé le geste timoré, il l'en dissuadera s'il lui a paru trop pressé.
De son côté, l'élève regarde maintenant les œuvres d'un œil plus expert. Il commence à les lire comme un musicien lit les partitions, en imaginant leur exécution. Dans les formes, il cherche à deviner les gestes qui les ont produites. Il découvre que, pour l'amateur attentif aux nuances et aux détails techniques, rien ne vaut l'examen de l'original et que, si certaines reproductions renseignent approximativement sur les qualités de l’œuvre, beaucoup d'autres sont inutilisables (2). Il devient plus difficile sur le chapitre de la documentation et commence à s'intéresser aussi aux conditions dans lesquelles les œuvres ont été transmises et conservées.
(...)
Telles sont les questions auxquelles commence à s'intéresser notre calligraphe en herbe lorsqu'il pénètre dans la deuxième phase de son apprentissage. Il devient attentif à l'état des œuvres et à la qualité des reproductions, il cherche à voir les originaux quand il en a l'occasion. Il tient aussi, maintenant, aux reproductions complètes, celles qui permettent de suivre l’œuvre de bout en bout et d'en éprouver complètement le rythme. Mais revenons au travail qu'il accomplit dans l'étude de son modèle.
Il ne se contente pas d'en reproduire exactement les formes et d'en rendre la physionomie. Au-delà des formes, il cherche le geste caractéristique qui les a fait naître et qui lui permettra de les produire à son tour sans effort. À la faveur d'une sorte d'expérimentation dynamique, il tente de reconstituer le style gestuel qui a donné naissance à l’œuvre et de se l'approprier. Ce processus d'assimilation met en jeu un mécanisme fondamental que Nietzsche décrit ainsi :
Geste et language. - Plus ancienne que le langage, l'imitation des gestes est involontaire et reste même à notre époque, où le langage des geste et la maîtrise cultivée de la musculature sont pourtant si généralement dépréciés, un phénomène si puissant que nous ne pouvons pas observer les mouvements d'un visage sans que les nerfs de notre visage ne réagissent (il est facile d'observer qu'un bâillement simulé suscite cher le spectateur un bâillement réel). Le geste imité ramène celui qui l'imite à l'émotion qui s'exprimait dans le visage ou dans le corps du premier acteur. C'est ainsi que nous avons appris à nous comprendre, c'est ainsi qu'aujourd'hui encore l'enfant apprend à comprendre sa mère (3).
Non que l'apprenti calligraphe réagisse de manière immédiate aux injonctions de son modèle. Il en est bien loin puisqu'il lui faut reconstituer, au prix d'un patient travail, les gestes dont l'écriture a fixé la trace. Mais lorsqu'il commence à les saisir de l'intérieur et à les reproduire naturellement, il s'établit entre l’œuvre et lui une connivence profonde, une véritable intimité physique et morale. Entre l’œuvre et lui se crée cette communication gestuelle qui constitue, selon Nietzsche, la base de toute communication. Ce qui est remarquable, c'est qu'il y parvient par une progression méthodique, contrôlée à chaque étape par le résultat visible sur le papier.
À partir des gestes, puis du style gestuel, l'élève remonte de proche en proche aux dispositions centrales du calligraphe étudié. Il s'introduit dans sa subjectivité, il s'en approprie du dedans les qualités distinctives. Pour reproduire l’œuvre dans ce qu'elle a de singulier, il recrée en lui-même la manière d'être particulière dont elle fut l'expression.
La causalité graphologique est donc inversée. L'écriture devient un moyen de modifier et d'enrichir la personnalité. L'idée d'une telle action en retour peut surprendre mais le phénomène nous est en réalité familier. Nous en faisons tous l'expérience quand, sous l'effet de la fatigue ou de la nervosité, nous écrivons de plus en plus mal et qu'à un certain moment nous nous ressaisissons pour écrire à nouveau lisiblement : cette reprise en main ne transforme pas seulement notre écriture, mais améliore aussi notre état général, physique et moral. Dans ces cas-là, l'écriture nous aide à régler notre activité d'ensemble. La différence est que cette modification est momentanée tandis qu'en calligraphie, où elle est le fruit d'un travail soutenu, d'une discipline qui met continûment en jeu toutes les forces et toutes les facultés, elle est profonde et durable. En s'appropriant un style, le calligraphe en herbe règle autrement son activité, crée en lui des dispositions nouvelles et intègre à sa personnalité des qualités qu'il ne possédait pas.
(...)
S'il est vrai que le calligraphe doit étendre son registre en étudiant de nombreux auteurs et que plus il en étudiera, mieux cela vaudra, les premiers auteurs étudiés n'en ont pas moins une importance particulière. Tout calligraphe reste marqué dans une certaine mesure par les premières œuvres à l'école desquelles il s'est formé. Il ne fait par conséquent pas une interminable série d'expériences équivalentes, mais des expériences décisives et d'autres de moindre importance. Il se sent de l'affinité pour certaines œuvres et les adopte parce qu'il se reconnaît en elle ou, au contraire, parce qu'il y pressent des qualités qui lui manquent (4). Son goût se modifie d'ailleurs en cours de route. Il renie certains attachements, il découvre les vertus d'auteurs qui lui avaient paru indifférents ou l'avaient même rebuté. Son itinéraire est fait d'une suite de choix qui sont indissociables de son histoire personnelle.
Le calligraphe se forme au fond comme un enfant qui développe sa personnalité en s'identifiant à ses parents, puis à ses maîtres ou à d'autres héros de son choix, et actualise grâce à ces identifications successives les virtualités qu'il porte en lui. Ces rencontres le marquent parce qu'elles lui donnent l'occasion de réaliser des dispositions qu'il ne se connaissait pas encore et de déplacer ou d'élargir à chaque fois ses limites. Le paradoxe de toute cette phase d'apprentissage est qu'elle est à la fois une recherche de dépouillement, de l'effacement devant l’œuvre étudiée, d'un apparent renoncement de soi au profit de la personnalité d'autrui et, dans le même mouvement, une lente découverte de soi-même.
Il faut bien voir l'importance de l'aspect négatif de ce processus qui est, entre autres choses, un désapprentissage des automatismes du regard. Si le calligraphe en herbe reproduit mal son modèle, c'est en effet que son œil croit voir les formes avant de les avoir bien regardées et transmet par conséquent à la main une information pauvre. Il lui faut lutter contre cette tendance naturelle de l’œil à saisir les formes de manière hâtive et incomplète. Le fonctionnement de la vue obéit comme celui des autres sens et de toute notre activité mentale à la loi du moindre effort. Nous ne cessons de trier inconsciemment les données sensorielles que nous recueillons, de retenir celles qui paraissent utiles et de les assimiler à des perceptions déjà répertoriées. Notre activité mentale ramène ainsi le confus au distinct, elle réduit le nouveau à ce qu'elle connaît déjà : "L'esprit veut l'identité, dit Nietzsche, c'est-à-dire qu'il veut pouvoir classer une impression des sens dans une série existante..." Nos perceptions ne sont généralement ni premières, ni naïves, mais déterminées par l'acquis antérieur. La plupart du temps, nous percevons moins que nous ne devinons d'après ce que nous savons déjà : "La plus grande partie de la perception sensible est une divination" (5).
C'est là qu'est la difficulté pour l'apprenti calligraphe. Il ne peut parvenir à la ressemblance si son œil réduit les formes nouvelles à du déjà-vu. Comme l'observe encore Nietzsche :
Nos sens n'apprennent que tard, et n'apprennent jamais tout à fait à servir d'organes fins, fidèles et prudents de la connaissance. Dans une situation donnée, il est plus facile à notre œil de reproduire une image déjà souvent produite antérieurement que de retenir ce qu'il y a de différent et de nouveau dans la nouvelle impression : il y faut plus de force, plus de "moralité". Il est difficile et pénible à notre oreille d'écouter quelque chose de nouveau ; nous entendons mal la musique qui nous est étrangère. (...) Le nouveau se heurte à l'hostilité et à la résistance de nos sens. De manière générale, même les processus sensoriels les plus "simples" sont dominés par l'affectivité, par la peur, l'amour, la haine par exemple, ou, négativement, par la paresse (6).
L'étude des œuvres contraint à résister à la tentation du moindre effort. Elle oblige à travailler contre soi et rend progressivement le regard plus clair et plus aigu parce que plus actif.
Sur le plan du geste aussi, l'étude des œuvres oblige à travailler contre soi, à lutter contre la tendance naturelle à la simplification et à la répétition. En reproduisant avec exactitude les gestes du maître, le calligraphe en herbe réduit graduellement la part que l'automatisme a dans son propre geste, il le purifie de ses tics et de ses travers invétérés. À la longue, lorsque sa main sera rompue à l'exécution des formes, qu'elle les reproduira toutes de manière également experte et suivra docilement la moindre injonction de sa volonté, le moment viendra où elle obéira tout aussi docilement à la dictée de sa fantaisie et de sa sensibilité. Elle sera devenue moins prévenue et plus active (7).
L'élève est en somme invité à dépouiller sont écriture de tout trait personnel afin de parvenir ultérieurement à l'expression du personnelle. Le paradoxe n'est qu'apparent et se résout si l'on admet que la personnalité dont il se dépouille et celle qui s'exprimera le moment venu dans son écriture ne sont pas la même. Je parlerai de la première comme de la "personnalité provisoire" et de la seconde comme de la "personnalité profonde".
La personnalité provisoire est celle que nous nous sommes construite pendant les dix ou vingt premières années de notre existence pour répondre aux exigences de la vie pratique et de la vie en société. Elle est le produit du processus d'adaptation qui a fait de chacun de nous un individu viable, membre accepté de sa famille, puis d'une communauté plus large. Souvent, quand cette personnalité remplit bien sa fonction, nous l'acceptons et nous nous identifions à elle. Quand elle est mal ajustée ou que nous avons le sentiment d'un être à l'étroit, nous nous bornons généralement à la réaménager partiellement ou à compenser ses insuffisances par des satisfactions imaginaires.
Quant à la personnalité profonde, elle est une seconde synthèse qui remplace parfois la première. Tandis que la première obéissait à un besoin pratique d'adaptation et de conservation, la seconde naît du désir d'intégrer et d'exprimer toutes les forces qui nous habitent, celles que nous avons pu inclure dans notre première personnalité et celles qui en sont restées exclues. Seuls quelques-uns s'engagent dans cette voie. Perturbés ou menacés même par les forces qu'ils ont dû négliger, ils remettent tout en chantier et tentent une nouvelle synthèse. Lorsqu'ils réussissent, cette nouvelle synthèse a une double valeur : une valeur de vérité, puisqu'elle intègre et qu'elle exprime toutes les forces qu'ils ont en eux, mais aussi une valeur d'utilité parce que leur équilibre est à ce prix.
L'aventure est généralement longue et dramatique, de sorte qu'elle n'est pas menée à son terme par tout ceux qui l'entreprennent, mais son aboutissement est toujours la même : la personnalité provisoire est dissoute et remplacée par la personnalité profonde.
Ces notions permettent de comprendre ce qui se passe dans la formation du calligraphe. Au cours de la deuxième de l'apprentissage, le calligraphe en herbe réduit les manifestations de sa personnalité provisoire et, ce faisant, agit sur elle. Il en desserre graduellement l'emprise, il s'en libère et permet à une nouvelle synthèse de s'organiser en lui et de se manifester, le jour venu, dans son écriture.
La complexité du processus tient à ce que la synthèse nouvelle se prépare aussi bien par la dissolution de la personnalité provisoire que par les imprégnations successives au gré desquelles l'apprenti calligraphe éveille en lui des dispositions latentes. Il ne lui faut pas seulement de la constance pour mener à bien cette transformation, mais une sorte de passion. Il doit être habité par un profond désir d'échapper aux limitations de sa personnalité provisoire et de voir se manifester un jour sa vraie physionomie. Pour trouver la force d'accomplir le travail nécessaire, il faut qu'il soit animé par une volonté farouche de n'être que soi et pressente en même temps que ce "soi" n'est pas encore, qu'il appartient encore au domaine de l'informulé.
C'est ici qu'il rencontre la principale difficulté. Tout au long de sa formation, le calligraphe cherche quelque chose qu'il lui est interdit de rechercher consciemment. Il peut se dépouiller méthodiquement, mais ne saurait aucunement appliquer sa volonté à la manifestation de ce qui, virtuellement, lui appartient en propre. Il ne peut ni provoquer, ni hâter cette manifestation, ni l'anticiper d'aucune manière. S'il tente de le faire, il échoue. Il y a là une loi qu'il ne peut transgresser sans que la transgression ne se retourne aussitôt contre lui : nul ne saurait, dit cette loi, chercher volontairement l'expression personnelle. S'il veut prématurément faire preuve d'originalité, l'apprenti n'a d'autre ressource que d'emprunter aux autres et de trafiquer ce qu'il emprunte. En prenant trop tôt ses libertés avec les œuvres étudiées, il est condamné à les dégrader. Pour peu qu'il ait de la sensibilité et du jugement, il s'aperçoit de ce fâcheux résultat et ne s'y laisse pas reprendre. L'expérience lui ayant montré que ces faiblesses se paient d'une régression immédiate, d'un retour aux tics dont il souhaite s'affranchir, il comprend qu'il lui faut renoncer à chercher consciemment ce qu'il désire le plus, il admet que cela ne peut venir que par surcroît. Il se distancie de son désir et fait comme s'il s'en désintéressait. Mais pour pouvoir maintenir cette distance, il faut qu'il fixe à son activité consciente des buts intermédiaires.
Jean François Billeter, V. L'Apprentissage in Essai sur l'Art Chinois de l'Écriture et ses Fondements, Éditions Allia, 1989 (2007), p.149-164.
Notes
1. Pendant des siècles, l'apprentissage de l'écriture s'est fait sur la base d’œuvres en régulière de l'époque des Tang. Le choix portait sur des œuvres d'Ouyang Xun (557-641), de Yi Shinan (558-638), de Chu Suiliang (596-658), de Yan Zhenqing (709-785) ou de Liu Gongquan (778-865) et l'on parlait de Outi, Yuti, Chuti, Yanti, Liuti pour désigner le style de chacun de ces calligraphes ; le mot ti, littéralement "corps", signifie dans ce cas "style" ou "genre". Wang Xiujie, un calligraphe que j'ai rencontré à Chengde en été 1982 et dont le fils, à sept ans, écrivait de beaux grands caractères en sigillaire, défendait l'idée que la meilleure manière d'enseigner la calligraphie aux enfants consistait à commencer par la sigillaire, techniquement la plus simple, de passer à la chancellerie et d'en arriver ensuite à la régulière. Selon lui, cela leur permet de tirer tout de suite parti de leur merveilleux sens de l'espace et d'aborder progressivement seulement les difficultés de la manœuvre du pinceau ; cela les familiarise en outre tout de suite avec l'histoire de l'écriture.
2. Celles qui ont l'air le plus luxueux sont souvent les moins bonnes. Le papier glacé tue la calligraphie. Ses reflets, qui rappellent au spectateur la présence de la surface réfléchissante, rendent impossible l'effet calligraphique, c'est-à-dire l'oubli de cette surface au profit d'un espace imaginaire dans lequel le spectateur se sent lui-même inclus. La reproduction en couleurs détruit presque aussi sûrement l'effet calligraphique parce qu'elle valorise les couleurs des sceaux, de la soie, du papier, de l'encadrement au détriment des valeurs de l'encre, qui seules devraient compter, et réduit le plus souvent ces dernières à un unique noir empâté dans lequel ne subsiste aucune trace de vie. Parmi les ouvrages cités dans la note bibliographique, à la p.393, Traces of the Brush donne l'exemple d'une illustration réussie de ce point de vue. Parmi les reproductions que l'on trouve dans le commerce, celles que les Éditions Wenwu, de Pékin, publient sous forme de grands fascicules à couverture bleue, reliés à la manière chinoise traditionnelle, sont de loin les meilleures. Quelques reproductions de grand luxe et à tirage limité mises à part, il ne se fait rien de comparable ailleurs.
3. Menschliches, Allzumenschliches, § 216. Cette citation de Nietzsche est inspirée, comme les suivantes, par le remarquable ouvrage de Louis Corman, Nietzsche, psychologue des profondeurs, Paris, Presses universitaires de France, 1982.
4. Kang Youwei ne fait pas autre chose en prenant si passionnément parti pour les stèles du Moyen Âge. Dans le texte dont on vient de lire deux extraits, il ne cite que des stèles antérieures aux Tang, à l'exclusion de toute œuvre manuscrite. Son idée est que seule l'étude de ces écritures-là peut tremper le caractère des calligraphes et amener le renouvellement de la calligraphie qu'il appelle de ses vœux.
5. Cité d'apèrs L. Corman, op.cit., p.299, qui renvoie à l'édition Kröner vol. XVI, p.511, et vol. XII, I, p.301.
6. Jenseits von Gut und Böse, § 192.
7. Comme l'atteste le violoniste Gérard Poulet, cette soumission aux œuvres joue le même rôle dans la formation du musicien que dans celle du calligraphe : "Szeryng, dit-il, m'a convaincu de repartir à zéro si je voulais acquérir le style qui me manquait. Alors j'ai mis de côté ces dons qui m'avaient permis de croire que tout marchait bien. Avec une patience, une ténacité et une générosité phénoménales, Szeryng m'a fait découvrir, analyser les grands classiques tout en reprenant ma technique de doigt et mes coups d'archet. Le développement de l'archet, c'est la rondeur de la phrase, retirer les faux accents, gommer ce qui n'est pas dans la partition ou dans l'esprit du compositeur. Année après année, cela a fini par rentrer. Les dons que j'avais enfouis sont réapparus tout simplement. J'étais en équilibre avec moi-même, avec cette nouvelle façon de jouer. Instinctivement je retrouvais ce que je sentais auparavant, mais sans rien forcer ni calculer. Je jouais naturel... c'est merveilleux de jouer naturel!" (extrait d'une interview publiée dans Télérama, décembre 1986).