J’étais guéri de la petite-bourgeoisie. Montherlant m’indiquait le chemin de la montagne où siège la tradition aristocratique. Un certain soir de 1942, devant une certaine page de Service inutile, ma vie d’esprit fut frappée de plein fouet comme par un éclair divin. Il faisait noir, j’étais un enfant des nuits d’Idumée qui dérobait les étincelles. Voleur de feu et, autour de moi, pour que se garde la mémoire du royaume, le chant profond, la mélodie de sa musique, la partition de ses mots. Il ne m’est plus nécessaire d’ouvrir la Lettre d’un Père à son fils. Je me la suis trop souvent récitée pour ne pas la savoir par cœur. Écoutez, garçons, à la recherche de maîtres : "L’essentiel est la hauteur. Elle vous tiendra lieu de tout. En elle, je comprends le détachement, car comment prendre de la hauteur, sans se détacher ? Elle vous serait une patrie suffisante, si vous n’aviez pas l’autre. Elle vous tiendra lieu de patrie, le jour où l’autre vous manquera. Il faut être fou de hauteur, car l’étant, on dégringole encore tant et plus. Que sera-ce donc, si on ne l’est pas ?" Il y avait là un appel à une citoyenneté que le siècle, aujourd’hui, considère comme anachronique et même comme dérisoire. Je me plaçais sous la tutelle de sa séduction et de son exigence. C’était la voix de mon âme d’artiste et de héros. La rigueur, quand elle ne mettait pas hors la loi la générosité, pouvait être un idéal et un ordre. L’idéal des vies droites. L’ordre d’une justice réfractaire à la médiocrité. Quelque chose d’inflexible et de tendre. Un instinct assez noble pour s’affranchir de la règle scolaire - scolaire et sclérosée - des moralistes professionnels. L’armure d’airain du chevalier et son cœur magnanime. Le tout fouetté par le lyrisme protestataire. Je me promettais d’être le fils de ce père, le disciple de cet enseignement ; je faisais le serment de tenir ma promesse.
Pol Vandromme, Bivouacs d'un Hussard, Éditions Table Ronde, 1997.
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