samedi 28 mai 2011

Communication Lacunaire.

Mathilde Guillemot, Carte 6, 2010.

Mathilde Guillemot, Carte 7, 2010.

Mathilde Guillemot, Carte 8, 2010.

Titres: Carte 6, Carte 7 & Carte 8.
Cartographe: Mathilde Guillemot.

Date: 2010.

Échelle: Non précisée.


Représentation:

Mon travail se situe à la frontière entre le dessin et la cartographie. Il s'inscrit dans la continuité d'un travail plus général sur la communication, et plus particulièrement sur la "communication lacunaire". J'ai commencé à m'intéresser il y a quelques années à l'étude des codes de communication; c'est de là qu'est venu mon intérêt pour la cartographie.

Je me suis mise progressivement à collecter des cartes existentes (cartes maritimes, cartes routières, cartes topographiques...) privilégiant l'idée d'une grande diversité d'échelles et d'époques.

A l'aide d'une plaque lumineuse, "j'isole graphiquement" des éléments cartographiques que je reproduis sur papier. J'opère une sorte de réécriture fragmentaire et nécessairement arbitraire de certains signes.

En les réécrivant, je les décontextualise et les prive ainsi de leur signification initiale. Le plus souvent, c'est l'aspect formel du code qui guide mon choix. Puis j'agence ensemble, au fur-et-à-mesure, les éléments sélectionnés, et m'en sers pour construire par le dessin des paysages en ruines.

Ma "carte" n'est jamais tracée, ni même pensée à l'avance. Elle prend forme à mesure que les signes cartographiques, devenus outils de construction, prennent place dans le paysage.

J'aime qu'à la différence du cartographe, qui, par souci de retranscrire le plus fidèlement la réalité, assigne à chaque élément un emplacement précis, mon dessin quant à lui, offre une combinaison quasi infinie de possibles. Tout en en récupérant la forme, les codes, tout en en adoptant le langage, je me joue ainsi d'une certaine raideur du monde. Pour reprendre les termes de Pierre Joseph: "Je sais que la carte a été tracée par d'autres, je me place sous cette autorité et je joue avec".

La carte, à la manière de la photographie, fige les données qu'elle représente. La construction de paysages en ruines constitue pour moi une manière de signifier cet immobilisme. Paradoxalement, si le recours à la ruine me permet d'un côté de matérialiser l'action du temps qui passe, il suggère également et surtout, l'idée d'un mouvement (la dégradation) qui se serait arrêté avant le terme final de sa disparition. C'est comme si le temps s'était figé une seconde fois.

Il y a dans la carte un air de "pas tout à fait" (la carte étant nécessairement simplification du réel), que je retrouve dans la ruine à travers un "plus tout à fait".

Gilles Tiberghien, dans son livre Finis Terrae / Imaginaires et Imaginations Cartographiques écrit: "(...) une carte est un ensemble de signes conventionnels dont je saisis la signification grâce à une charte d'interprétation, mais c'est aussi une image dont les contours ou les couleurs demandent à être décodés (il faut apprendre le langage de la carte), qui ont pour moi une certaine puissance de suggestion et font appel aux ressources de mon imagination."

En tant que langage, la cartographie est affaire de transmission - celui qui donne, et celui qui reçoit - ; c'est donc la convention implicite passée entre l'émetteur et le récepteur qui garantit la compréhension de la carte.

Dans mon travail, je me sers de cette convention pour perturber le regard du spectateur. L'emplacement des cartouches (cadres regroupant des indications nécessaires à l'identification et à l'interprétation d'une carte) est matérialisé par un espace vierge. Le cadre même a disparu. Il n'en reste que la trace, qui se révèle de manière négative, grâce aux informations graphiques périphériques. Il ne s'agit donc plus d'un élément additionnel déterminant (le cartouche s'inscrit souvent au premier plan, parfois "sur" la carte, quite à dissimuler certaines informations); mais il renvoie davantage aux "terrae incognita". Ces "taches blanches" ne posent plus tant la question des ""lacunes" dans le champ du savoir" (Gilles Tiberghien), mais interrogent davantage l'autorité des cartes. Comment se positionne-t-on par rapport à l'authenticité des informations données par la carte ?

Mes cartes portent la marque d'un pliage (fidèle à celui de la cartographie). Pour autant, elles se présentent ouvertes, et ne sont pas vouées à être manipulées. Parfois, les plis sont même renforcés par des bandes vierges, qui viennent former une sorte de grille de vide ; une nouvelle manière pour moi de poser la question de l'information.

Ces bandes vierges peuvent également évoquer l'usure du temps ; comme si la répétition du geste (déplier-replier) avait fini par anéantir ce pourquoi même on effectuait l'action. La carte se retrouve donc comme partiellement vidée de son contenu ; partiellement privée de sa signification.

Les cartes se présentent à l'horizontal. C'est un peu comme si, après avoir effectué un premier renversement (une élévation/verticalisation), j'opérais un second mouvement, qui d'un côté renoue avec le plan originel de la cartographie, et de l'autre en perturbe la lecture. Les cartes sont disposées sur des tables de consultation de différentes tailles, et de différentes hauteurs, autour desquelles le spectateur est amené à circuler. Certaines cartes, réversibles, sont éclairées à l'aide d'un néont placé sous la table.

Mathilde Guillemot, Note de Présentation au Salon de Montrouge, 2011.

2 commentaires:

Paulo le G. a dit…

C'est très bon ça ! ça me fait un peu penser à certains travaux de Vieira Da Silva.

Paulo le G.

Professor Bourbaki a dit…

Ravis que cela vous ai intéressé. Vous pensez à un tableau en particulier de Vieira Da Silva? Dans quel cas je serais curieux d'en savoir davantage.

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