Miles Davis, In a Silent Way, CBS, 1969. |
L'une des rares fois où Miles (Davis) est venu au studio, c'était pour In a Silent Way. Je lui ai téléphoné et je lui ai dit: "Écoute, j'ai tout monté, j'ai mixé deux caisses de bandes - à peu près quinze ou vingt bobines par caisses -, je peux faire les coupures, je peux faire le montage..." (Imitant Miles:) "J'arrive. Je serai là." Alors il est venu, nous avons réduit chacune des faces à huit minutes et demi. Je crois qu'à un moment la deuxième face faisait neuf minutes et demi, et il m'a dit d'aller me faire foutre, qu'il allait se tirer, et qu'on ne toucherait plus à son album. Je lui ai dit: "Tu ne peux pas faire ça. CBS va te virer, te suspendre, me virer... Mais laisse-moi quelques jours, et je vais trouver quelque chose." Et puis quelques jours plus tard, je lui ai envoyé une cassette, et le tour était joué. Pour tout dire, j'ai copié beaucoup de ce qui avait été enregistré, et je vous mets à défi de trouver où sont les coupures.
(...)
Quand vous coupez et que vous montez des bandes magnétiques, vous pouvez vous débrouiller pour que personnes ne puisse s'en rendre compte. A cette époque, on se servait encore d'une lame de rasoir pour travailler. C'était très différent de l'enregistrement numérique aujourd'hui, des 24 pistes et tout cet équipement dans votre ordinateur. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Si vous voulez déplacer quelque chose - pas une seule mesure, mais disons une mesure et demi ou une mesure et un sixième - vous n'avez qu'un geste à faire et vous ne laissez aucune trace. Il y'a beaucoup de choses qu'on peut faire aujourd'hui et qui étaient irréalisables à la fin des années 50 ou au début des années 60, parce qu'on n'en avait pas les moyens techniques. Je pense que In a Silent Way est vraiment un disque remarquable, compte tenu des circonstances. Ce n'était que quelques notes de musique, après tout, et c'est devenu un classique.
Peter Shapiro & Caipirinha Productions, Entretien : Teo Macero in Modulations, Éditions Allia, 2004, p.75.
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