lundi 20 juin 2011

Descriptible & Analysable.

Marc-Antoine Mathieu, La Qu..., 1993 (via The Funambulist).

Marc-Antoine Mathieu, La Qu..., 1993 (via The Funambulist).

L'examen qui place les individus dans un champ de surveillance les situe également dans un réseau d'écriture; il les engage dans toute une épaisseur de documents qui les captent et les fixent. Les procédures d'examen ont été tout de suite accompagnées d'un système d'enregistrement intense et de cumul documentaire. Un "pouvoir d'écriture" se constitue comme une pièce essentielle dans les rouages de la discipline.

Grâce à tout cet appareil d'écriture qui l'accompagne, l'examen ouvre deux possibilités corrélatives: la constitution de l'individu comme objet descriptible, analysable, non point cependant pour le réduire en traits "spécifiques" comme le font les naturalistes à propos des êtres vivants; mais pour le maintenir dans ses traits singuliers, dans son évolution particulière, dans ses aptitudes ou capacités propres, sous le regard d'un savoir permanent; et d'autre part la constitution d'un système comparatif qui permet la mesure de phénomène globaux, la description des groupes, la caractérisation de faits collectifs, l'estimation des écarts de individus les uns par rapport aux autres, leur répartition dans une "population".

Pendant longtemps l'individualité quelconque - celle d'en bas et de tout le monde - est demeurée au-dessous du seuil de description. Être regardé, observé, raconté dans le détail, suivi au jour le jour par une écriture ininterrompue était un privilège. La chronique d'un homme, le récit de sa vie, son historiographie rédigée au fil de son existence faisaient partie des rituels de sa puissance. Or les procédés disciplinaires retournent ce rapport, abaissent le seuil de l'individualité descriptible et font de cette description un moyen de contrôle et une méthode de domination. Non plus monument pour une mémoire future, mais document pour une utilisation éventuelle.

L'individu, c'est sans doute l'atome fictif d'une représentation "idéologique" de la société; mais il est aussi une réalité fabriquée par cette technologie spécifique de pouvoir qu'on appelle la "discipline". Il faut cesser de toujours décrire les effets de pouvoir en termes négatifs: il "exclut", il "réprime", il "refoule", il "censure", il "abstrait", il "masque", il "cache". En fait le pouvoir produit; il produit du réel; il produit des domaines d'objets et des rituels de vérité. L'individu et la connaissance qu'on peut en prendre relèvent de cette production.

Mais prêter une telle puissance aux ruses souvent minuscules de la discipline, n'est-ce pas leur accorder beaucoup? D'où peuvent-elles tirer de si smalls effets?

Michel FoucaultSurveiller et Punir, Naissance de la Prison, Éditions Gallimard, collection Tel, 1975 (1993), p.222-227.

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