dimanche 19 juin 2011

Sim City.

Vincent Ocasla, Magnasanti, 2010 (via Flux).

L'espace géographique et la spatialité humaine naissent donc de l'existence pour les sociétés d'une difficulté fondamentale - que chacune d'entre elles tend à régler avec ses moyens propres, variables selon l'époque et l'état des structures sociétales: la distance. L'espace et la spatialité ne constituent rien d'autre que des réponses à un problème majeur. Il existe une solution simple pour éprouver la validité de cette affirmation. Il suffit de jouer, sur un ordinateur, au jeu le plus géographique qui soit: Sim City.

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Ce jeu, doté d'un redoutable système d'intelligence artificielle qui fait évoluer la ville créée en fonction des choix du joueur, constitue à sa manière un formidable laboratoire spatial - qui, bien sûr, exprime une certaine conception de l'urbain, puisque tout mène à constituer une métropole mondiale de type américain. Mais je ne voudrais pas ici emprunter la veine de la critique sociale et politique du contenu de ce programme ludique. Car ce qui m'intéresse, c'est ce que Sim City révèle à propos de la distance et de ses effets.

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Si le joueur parvient, à partir de l'impératif de distance, à bien délimiter, correctement placer et bien gérer les proximités, il organise une coexistence spatiale vertueuse, récompensée par la croissance géographique (horizontale et verticale, puisque les constructions gagnent de la hauteur), démographique, économique et rapide de sa ville, via le programme. La chose est plus difficile à obtenir qu'il n'y paraît (même pour un géographe!) et conduit le joueur très au-delà d'une simple gestion de l'étendue - qui au demeurant disparaît rapidement des préoccupations, si ce n'est par le retour des contraintes "naturelles". Il devient producteur d'espace géographique, virtuel certes, mais très proche de la réalité, de par les logiques qui président à sa conception. Pour y parvenir au mieux, il doit engager des techniques, des compétences, des savoirs, des idéologies, des imaginaires sociaux qui guideront les modalités de structuration physique de l'espace qu'il va choisir. 

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Si le caractère ludique de Sim City n'est pas niable, le sérieux des concepts qui le sous-tendent ne l'est pas plus - et l'on sait depuis longtemps que le jeu est une activité qui en dit long sur les sociétés humaines. Je me saisis donc de Sim City comme d'un modèle au sens strict du mot: un schéma simplifié et symbolique permettant de rendre compte d'une réalité, ici la réalité spatiale. J'y trouve la mise en évidence des principes élémentaires de l'espace humain et, en particulier, une claire illustration de la prégnance de la distance, mais aussi de l'importance de la délimitation.

Michel Lussault, L'Homme Spatial, la Construction Sociale de l'Espace Humain, Éditions du Seuil, collection La Couleur des Idées, 2007, p.47-50.

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