jeudi 30 juin 2011

Sans Cartes.

Michael Druks, Druksland, 1974.

De nombreux voyageurs européens ont constaté avec étonnement et admiration que les peuplades de ces régions accompagnaient souvent leur descriptions orales de l'espace par de véritables cartes, qu'elles soient dessinées sur le sol ou le sable avec le doigt, le pied ou un bâton, comme dans les tribus autochtones d'Australie, d'Afrique ou d'Amérique, ou encore tracées avec du sang animal ou de la suie sur des écorces de peaux, comme chez certains indigènes de Sibérie ou Indiens d'Amérique du Nord. Ces cartes sont de nature temporaire, elles indiquent les principaux points de repères susceptibles de changer de place non pas dans l'espace mais dans le système de valeurs de ces peuplades. Ce type de carte est éphémère: certaines sont effacées, d'autres, exposées aux intempéries, se détériorent progressivement jusqu'à disparaître complètement.

(...)

Certaines cartes sont plus durables, la navigation nous a donné deux célèbres exemples: celui des cartes nautiques des habitants des îles Marshall, faîtes de bâtonnets articulés selon des angles différents, de coquillages et de petits os représentant les îles, les vents et les courants; celui des Esquimaux, gravant sur des morceaux de bois flotté le littoral, les baies, les îles isolées. Ces cartes ne sont pas explicites, elles ne peuvent être comprises par tous les membres de la communauté ou les étrangers sans le commentaire de ceux qui savent les lire. Elles servaient à illustrer une description orale ou à aider le guide ou le narrateur à mémoriser correctement, et dans l'ordre, la répartition de l'espace. Ces deux types de cartes, faites pour durer, restent des exceptions: elles sont apparues dans des sociétés comparables, sédentaires par la force des choses.

Toutes ces cartes ont été conçues et établies par des sociétés qui n'avaient pas encore trouvé le moyen de fixer en caractères écrits leurs traditions et leurs conventions orales; que ces cartes soient faites pour durer ou non, leur apparition précède celle de l'écriture et des textes. C'est en tant que représentations figuratives d'objets réels qu'apparurent, dans diverses parties du monde, les premiers caractères écrits. Au fil des siècles, certaines sociétés ont mis au point une version abrégée avec des syllabes et un alphabet, tandis que d'autres conservaient le mode d'écriture originel, en ne faisant que changer et simplifier les signes. Certains caractères conservent encore dans leur symbolique une vision plane et panoramique, ou perspective des éléments de l'environnement qu'ils représentent. Ces caractères dans leur forme originelle, illustrent la variété des perceptions de l'espace en fonction des conditions de l'environnement: l'homme sélectionne et dépeint des réalités géographiques suivant leur utilité sociale. Les symboles relèvent aussi les dons artistiques des écrivains et leur faculté à s'adapter aux matériaux dont ils disposaient. Si l'on compare les idéogrammes chinois, les hiéroglyphes égyptiens et les caractères aztèques, l'on s'aperçoit, pour des mots tels que montagne, grotte, source, rivière, lac, forêt, piste, maison et village, qu'il existe des ressemblances et des divergences fondamentales dans la perception et dans la représentation de l'espace.

Ulrich Freitag, traduit de l'anglais par Isabelle Brunet, Peuples Sans Cartes in Cartes et Figures de la Terre, Éditions du Centre Pompidou, 1980, p.62-63.

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