Matthew Cusick, Fiona's Wave, 2005. |
L’espace commence ainsi, avec seulement des mots, des signes tracés sur la page blanche. Décrire l’espace: le nommer, le tracer, comme ces faiseurs de portulans qui saturaient les côtes de noms de ports, de noms de caps, de noms de criques, jusqu’à ce que la terre finisse par ne plus être séparée de la mer que par un ruban continu de texte. L’aleph, ce lieu borgésien où le monde entier est simultanément visible, est-il autre chose qu’un alphabet ?
Espace inventaire, espace inventé: l’espace commence avec cette carte modèle qui dans les anciennes éditions du Petit Larousse illustré, représentait sur 60 cm2, quelque chose comme 65 termes géographiques, miraculeusement rassemblés, délibérément abstraits: voici le désert, avec son oasis, son oued et son chott, voici la source et le ruisseau, le torrent, la rivière, le canal, le confluent, le fleuve, l’estuaire, l’embouchure et le delta, voici la mer et ses îles, son archipel, ses îlots, ses récifs, ses écueils, ses brisants, son cordon littoral, et voici le détroit, et l’isthme, et la péninsule, et l’anse et le goulet, et le golfe et la baie, et le cap et la crique, et le bec, et le promontoire, et la presqu’île, voici la lagune et la falaise, voici les dunes, voici la plage, et les étangs, et les marais, voici le lac, et voici les montagnes, le pic, le glacier, le volcan, le contrefort, le versant, le col, le défilé, voici la plaine, et le plateau, et le coteau, et la colline; voici la ville et sa rade, et son port, et son phare…
Georges Perec, Espèces d’Espaces, Éditions Galilée, 1974 (2000), p.26-27.
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