vendredi 2 septembre 2011

Nuit Céruléenne.

René Descartes, Principia Philosophiae, 1644.

Sur cet immense tableau d’une nuit céruléenne, la rêverie mathématicienne a écrit des épures. Elles sont toutes fausses, délicieusement fausses, ces constellation! Elles unissent, dans une même figure, des astres totalement étrangers. Entre des points réels, entre des étoiles isolées comme des diamants solitaires, le rêve constellant tire des lignes imaginaires. […] L’homo faber - charron paresseux - met au ciel le chariot sans roue; le laboureur rêvant à ses moissons dresse un simple épi doré. […] Nommer les étoiles pour "soulager la mémoire", quelle méconnaissance des forces parlantes du rêve! Quelle ignorance des principes de projection imaginaire de la rêverie! Le zodiaque est le test de Rorschach de l’humanité enfant. Pourquoi en a-t-on fait de savants grimoires, pourquoi a-t-on remplacé le ciel de la nuit par le ciel des livres? […] "Connaître" les constellations, les nommer comme dans les livres, projeter sur le ciel une carte scolaire du ciel, c’est brutaliser nos forces imaginaires, c’est nous enlever le bienfait de l’onirisme étoilé. Sans le poids de ces mots qui "soulagent la mémoire", chaque nuit nouvelle serait pour nous une rêverie nouvelle, une cosmogonie renouvelée.

Gaston Bachelard, L'Air et les Songes, Édition Le Livre de Poche, collection Biblio Essais, 1943 (1992), p.227-229.

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