Photographie non attribuée, Oscar Pistorius, s.d. |
Si l'on devait analyser un grand esprit et un champion national de boxe du point de vue psychotechnique, il est probable que leur astuce, leur courage, leur précision, leur puissance combinatoire comme la rapidité de leurs réactions sur le terrain qui leur importe, seraient en effet les mêmes; bien plus, il est à prévoir que les vertus et les capacités qui font leur succès à chacun ne les distingueraient pas beaucoup de tel célèbre steeple-chaser; on ne doit pas sous-estimer les qualités considérables qu'il faut mettre en jeu pour sauter une haie. Puis un cheval et un champion de boxe ont encore cet autre avantage sur un grand esprit, que leurs exploits et leur importance peuvent se mesurer sans contestation possible et que le meilleur d'entre eux est véritablement reconnu comme tel; ainsi donc, le sport et l'objectivité ont pu évincer à bon droit les idées démodées qu'on se faisait jusqu'à eux du génie et de la grandeur humaine.
En ce qui concerne Ulrich, on doit même dire qu'il avait été de quelques années en avance sur son temps dans ce domaine. Car c'est précisément de la manière dont on améliore ses performances d'une victoire, d'un centimètre ou d'un kilo, qu'il avait pratiqué la science. Son esprit devait prouver son acuité et sa force, et il avait fourni un travail de force. Ce plaisir qu'il prenait à la puissance de l'esprit était comme une attente, un jeu belliqueux, une sorte de droit imprécis, mais impérieux sur l'avenir. Il ne savait pas bien à quoi le mènerait cette puissance; on en pouvait faire tout ou rien, devenir grâce à elle un criminel ou le sauveur du monde. Telle est bien plus ou moins, en général, la situation psychique qui assure au monde des machines et des découvertes des renforts toujours frais.
Robert Musil, traduit de l'allemand par Philippe Jaccottet, L'Homme Sans Qualités, Tome 1, Éditions Seuil, collection Points, 1956 (2004), p.78.
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