Photographie non attribuée, Défilé d'Afsharide lors du Festival des Arts de Chiraz-Persépolis, 1971. |
Pendant les dernières années du règne du Chah Mohammad Reza en Iran, une panoplie de formes d'expression avant-gardistes est venue s'ajouter à une histoire riche de 2500 ans, celle des arts traditionnels persans. Des musiciens, danseurs et cinéastes de renom venus de l'étranger se produisent aux côtés de leurs pairs iraniens au Festival Annuel International des Arts de Chiraz. Une planification détaillée fut mise en branle pour la création d'un centre d'art important qui devait comporter des studios d'enregistrement et des espaces de travail pour ses résidents. Le festival suscita l'envie, chez les jeunes compositeurs et artistes iraniens, d'étendre leur horizon en adoptant des techniques et une esthétique "contemporaines". Par la suite, certains d'entre eux voyagèrent à l'étranger pour approfondir leurs études. Bien que la révolution islamique de 1979 marqua la fin du penchant institutionnel pour les avant-gardes et la fin des bourses d'études à l'international, l'expression créative déclenchée par le festival devait en revanche perdurer, notamment à travers le cinéma.
La Fondation du Festival des Arts de Chiraz.
Tout au long du XXe siècle, l'une des principales perspectives du règne Pahlavi fut la modernisation et l'industrialisation du pays, tout en gardant son indépendance vis-à-vis des autres nations, la Grande-Bretagne et l'Union Soviétique en particulier. Le Chah Mohammad Reza Pahlavi espérait fonder son indépendance et son autorité sur trois certitudes: un règne séculaire, l'hégémonie politique de la dynastie Pahlavi et la continuité avec l'ancien Empire pré-islamique de la Perse. En 1967, le Chah autoproclama respectivement, lui et son épouse, Empereur et Impératrice, assurant par conséquent le droit ce celle-ci à la succession. Le 2500e anniversaire approchant (1971), de la conquête de Babylone par Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire perse, allait fournir le cadre singulier d'un événement culturel international, au sein même des ruines de Persépolis - l'ancien siège royal préislamique.
Le Festival des Arts de Chiraz commença en 1967, et servit de vitrine pour la cour suprême, surtout pour l'Impératrice Farah Diba (ancienne étudiante en architecture) qui prit en charge l'organisation des événements chaque année. Le musicien Gordon Mumma se souvient d'elle comme d'une "femme extraordinaire et d'une culture considérable". La radio et la télévision iraniennes nationales (NIRT), également fondé en 1967, étaient le sponsor du festival et Sharazad (Afchar) Ghotbi, violoniste et épouse du directeur de la NIRT, Reza Ghotbi, en fut nommée directrice musicale. La programmation reflétait le penchant de l'Impératrice pour l'art contemporain d'Occident, bien que l'initiative d'un festival avec une telle orientation présentait nombre de conflits potentiels. En effet, l'Iran, qui se vantait de son ouverture au monde intellectuel et de l'intégration sociale des femmes, censurait pourtant sévèrement toute expression politique interne, générant involontairement une opposition cléricale islamique radicale - et cette dernière allait de fait revendiquer une certaine indignation face à la programmation du festival. L'opulence de la cour qui s'exhiba tout au long des onze années du festival, souligna du reste la détresse économique générale de la population. Toutefois, cette activité créative dans le cadre du festival, ne se voulait pas moins le reflet des efforts internationaux apparemment tournés vers l'avenir, présentant l'Iran aux yeux du monde comme un pays innovateur et ouvert d'esprit.
L'Expérience des Artistes et Participants Occidentaux.
Pour les artistes invités, le Festival des Arts de Chiraz représenta une expérience remarquable. Les danseuses Carolyn Brown et Valda Setterfield, de la Merce Cunningham Dance Company (MCDC), retiennent de leur visite de 1972 "une aventure unique, magnifique et inoubliable", quelque chose "d'enivrant et d'exaltant". Gordon Mumma de son côté y repense comme "une des expériences culturelles les plus extraordinaires de ma vie". Parmi les souvenirs de Chiraz de Setterfield:
[...] boire du jus de pastèque au petit déjeuner, des insectes énormes voletant et se noyant dans la piscine, la chaleur du sol trop écorchante pour marcher pieds nus jusqu'à la piscine. Le marché à proximité était superbe, rempli par le son de pots en métal façonnés sous les coups de marteaux, et des choses mystérieuses ) manger. Quand le soleil se couchait, tout autour de nous prenait l'odeur de rose.
Un public élitiste convergeait vers le festival. Mumma précise que le "prix d'entrée ne regardait pas seulement l'argent mais aussi le passage par la sécurité". Une colonne du Journal de Téhéran de 1976, mêlant critiques et potins, nota que "l'Impératrice est [apparue] dans un costume de sirène multicolore en velours qui a éclipsé la plupart de ces autres dames", et de même Carolyn Brown se rappelle que le public "semblait davantage captivé par la Reine et son entourage que par la danse". Mumma, quant à lui, trouva le public plutôt sérieux et interessé: "Nous étions épargnés de tous les commentaires hostiles dans le genre "ce n'est pas de la musique", auxquels nous étions souvent habitués ailleurs". Il se rappelle aussi comme la sécurité était stricte: "A Persépolis, chacun de nous avait un "guide" (comprenez un "garde") vêtu d'un costume à la manière occidentale avec une cravate et une veste. Le rôle de la veste était avant tout de cacher leur arme [...] Nous y sommes allés dans des avions militaires iraniens". Setterfield se remémore: "Persépolis était truffé de soldats armés. Comme une partie du décor, ils étaient à chaque coin de rue. Les sentiments de prudence et de danger étaient palpables. Alors que vous regardiez quelque chose d'extraordinaire, d'ancien et de beau, soudain vous aperceviez les soldats". Merce Cunningham, lui, décourvrit que les coussins volants utilisés pour sa performance de Persépolis "étaient stockés dans un local rempli de mitraillettes".
Robert Gluck, traduit de l'anglais par Alan Elington, Le Festival des Arts de Chiraz-Persépolis, Les Avant-Gardes d'Occident en Iran dans les Années 1970 in Zamân n°4, Éditions MEKIC, Hiver 2011, p.87-91.
Article initialement publié dans Leonardo Journal, vol. 40, n°1, MIT Press, 2007.
Voir également ici.
Robert Gluck, traduit de l'anglais par Alan Elington, Le Festival des Arts de Chiraz-Persépolis, Les Avant-Gardes d'Occident en Iran dans les Années 1970 in Zamân n°4, Éditions MEKIC, Hiver 2011, p.87-91.
Article initialement publié dans Leonardo Journal, vol. 40, n°1, MIT Press, 2007.
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