vendredi 19 août 2011

Position Ambiguë.

Photographie non attribuée, VGE au Gala d'Accordéon de Montmorency, 1974.

Photographie non attribuée, VGE Jouant à la Pétanque, 1974.

Photographie non attribuée, 1974, Une Partie de Campagne, 1974.

Réunion de préparation de la campagne électorale de Valéry Giscard d'Estaing, dans les bureaux du Ministère des Finances à Paris, en présence de son état-major.
VGE- Allez, assieds-toi. Oui, c'est pour parler de la préparation du second tour. Il y a une solution qui consiste à peu près à ne rien faire... Attendez, Chapot, ne m'interrompez pas, ne prenez pas les mauvaises habitudes de la campagne présidentielles... Bon, ça consiste à ne rien faire parce que, en gros, l'ancienne majorité à 45% des voix, 46% des voix. Royer... ils voteront pour moi, ils ne peuvent pas voter ailleurs, et puis il y aura Le Pen qui a à peu près... enfin, il ne peut pas faire autrement non plus, et puis il n'entraîne personne. Donc, au fond, c'est une élection qui est pratiquement gagnée si on ne fait rien. L'ennui, si on fait quelque chose, c'est qu'on peut la perdre parce qu'on prend des positions, on énerve des gens, on se déplace dans un sens et dans l'autre. Donc il y a au fond une technique qui serait de ne rien faire, des beaux discours, etc. A laisser le courant passer, en se disant: "Ce type est rassurant, il est très convenable, il est gentil, il parle bien... ", heu voilà. Première solution. Et faire une campagne de généralités généreuses et pas trop engageante. Et au fond on est élu dans ce cas-là en campagne aux couleurs de l'UDR. Une erreur mortelle. Oui mais attention, c'est ce qu'ils vont essayer de faire. Alors ça, on ne s'en sort plus. Enfin, c'est très mauvais, très mauvais.
Homme- Et notamment, c'est très mauvais de faire un rassemblement à Paris.
VGE- Alors ça, on verra un peu... Ça dépend du Rassemblement, c'est un autre chose. Enfin, les conclusions pratiques, c'est à voir. Je crois - n'est-ce pas, vous avez compris - que depuis trois ou quatre jours, toute mon astuce, ça a été de ne pas perdre de voix. Bon, alors c'est pour ça que je n'ai pas écrit aux gentilles tourterelles et autres parce que je me disais "je vais perdre les chasseurs", n'est-ce pas? C'est pour ça que je n'ai pas engueulé Mitterrand parce qu'au fond ça  ne me rapportait rien. Et ce que je crois - enfin, c'est peut-être une des lignes du second tour - c'est qu'au fond les gens ayant peur, voyant le franc baisser, voyant l'Italie en pagaille, se disent: tout ça, au fond, c'est de l'agitation. Il y a un type qui a l'air assez sérieux, assez calme, qui n'injurie personne, qui dit des choses qui ont l'air sérieux. Et bien, votons pour lui. C'est une première tactique. Alors, y a la tactique d'essayer de faire peur en disant: "le Programme commun, c'est abominable". L'inconvénient, c'est que vous suscitez deux mouvements à ce moment-là. Vous suscitez un mouvement d'abord qui est quand même de m'identifier beaucoup à droite. Parce que des gens qui attaquent la gauche, c'est la droite, c'est naturel d'ailleurs. Et quand ils vous écoutent, quand ils m'écouteraient, ou quand ils écouteraient les gens qui bavardent un moment, ils se diraient sans doute: "Ce Programme commun à l'air très mal, mais enfin, on est en France, ce serait comme le socialisme méridional, un peu de vin rouge vous calmera ces gens. Et Giscard est tout le temps à les injurier quand même. Evidemment c'est la droite!"

Réunion de préparation de la campagne électorale (suite). Discussion avec un des responsables du parti, Roger Chinaud.
Roger Chinaud- Mais si, mais les gens viennent de partout, il ne faut pas nous raconter d'histoires. Ils sont venus de partout dans les régions que le ministre a faites; vous avez Poitiers, qui est important... je sais que vous y êtes passé, mais en revanche vous avez beaucoup de supporters, il faut quand même fixer ses trous. Très franchement Lyon, il faudra que vous le refassiez un soir. Et puis, il y a deux trois villes moyennes qui me paraissent intéressantes en fonction de la situation politique, où vous n'êtes pas passé. Vous avez Amiens, car vous avez l'existence, dans cette région, d'un courant socialiste qui refuse le Programme commun, et ça je crois que c'est une bonne chose... Il faut qu'il puisse être à côté de vous. Vous avez le moyen-Rhône où c'est le même problème que du côté de Valence, n'est-ce pas, où on peut le faire, où vous aurez un monde fou... C'est des villes moyennes. Et puis j'ai pensé à une petite ville, enfin, qui présente des caractéristiques industrielles, où vous pouvez traiter ce problème-là, car vous avez encore une clientèle à fixer, la clientèle syndiquée, elle est très faible. C'est une ville comme Montceau-les-Mines. C'est ce type de ville-là!
VGE- Montceau-les-Mines serait pas mal. (...)
RC- C'est le type de bonne ville pour vous.
VGE- C'est ça et puis le mot, enfin, Montceau-les-Mines, les gens qui lisent le journal voient bien que c'est un truc où il y a des travailleurs, n'est-ce pas?
Bon, alors ça en ferait trois, ça.
A Poitiers, les femmes.
Je ne sais pas si il faut recommencer l'agriculture encore?
Oui, Valence.

Valery Giscard d'Estaing en campagne, en visite chez l'habitant à Charenton.
(brouhaha)
VGE- Ha, Madame Larose, venez avec nous.
Mme Larose- Je suis très honorée, messieurs, très émue...
VGE- Il est venu des gens de chez vous? (...)
VGE- Vous serez sur le film de la campagne. Le titre n'est pas encore trouvé, ça dépend du 19 mai, ça.

Valéry Giscard d'Estaing, dans l'ascenseur avec Raymond Depardon, juste après son intervention au meeting du parc des expositions à Paris.
VGE- Vous avez pris des images de la foule j'espère? ...
Oh, un peu de fraîcheur!

Valéry Giscard d'Estaing, sur la terrasse du Ministère des Finances au Louvre, fait les cent pas en attendant les résultats des élections présidentielles. On entend sa propre voix à la radio.
Commentateur radio- Comment concevez-vous la suite de votre vie, si vous n'êtes pas élu?
VGE (à la radio)- Je n'encombrerai pas inutilement la scène politique française.

Après les premières estimations qui lui ont été communiquées par téléphone, Valéry Giscard d'Estaing regarde un téléfilm américain dans son bureau du Ministère des Finances.
Elle- Bonsoir chéri, viens là. Je suis contente de te voir, mais pas contente d'apprendre ce que tu as fait.
Lui- Et qu'est-ce que j'ai...
Elle- On en parle sur toutes les chaînes de télévision. On ne cite pas de nom, mais le style c'est toi, il n'y a pas à s'y tromper.

Note: le film est toujours interdit à la distribution par Valéry Giscard d'Estaing (NDLR: c'était le cas en 1993. Le film a été distribué en 2002).

Propos.

Etant photographe, j'ai l'habitude de toujours aller pleurer pour en avoir plus, et j'ai dit à Valery Giscard d'Estaing que j'avais besoin d'être plus près de lui, car de loin je ne pouvais rien faire de bon. Je lui ai demandé une entrevue pour lui dire que je voulais arrêter, et un samedi matin il m'a reçu à son ministère avec visiblement la volonté d'arranger les choses. Il avait un meeting le lendemain en Bourgogne et il m'a dit: "Vous n'avez qu'à venir", j'ai répondu: "Il me faut deux places absolument", car lui voulait que le preneur de son prenne le train. Je lui ai expliqué l'importance de son synchrone, lui voulait que je mette de la musique à la place du son, car il avait très peur du son, plus que de l'image. Je lui ai dit que c'était impossible, qu'il fallait absolument le son avec les images. C'est ainsi que Bernard Ortion, le preneur de son, est monté dans le Mystère 20, et nous avons tourné les séquences sur le premier tour de campagne. (...)

Il y a une chose qui est importante, c'est que le film n'aurait pu être fait avec une équipe lourde. J'ai même eu du mal à imposer un preneur de son. Il se trouvait qu'il s'entendait bien avec le candidat; celui-ci venait souvent nous parler pendant la campagne, parce qu'il savait que nous n'étions pas de la presse écrite, que nous n'étions pas des "politiques", au sens classique. Si nous avions été des journalistes de la presse écrite, il n'aurait pas fait ça. Nous avions une position ambiguë, et c'est la même ambiguité qu'on retrouve au Viêt-nam. Par exemple, les photos qui sont les plus intervenues auprès de l'opinion publique mondiale ont été faites au sud, avec les Américains. Donc, dans une certaine mesure, en collaboration avec ceux dont l'action est dénoncée par ces photos.

Propos recueillis par Serge Le Péron et Serge Toubiana, Cahiers du Cinéma, n°306.

La grande question que se posent certains, c'est de savoir si Giscard apparaît sympathique ou pas dans mon film. Or, ça, le film ne le dit pas. C'est celui qui regarde qui tranche. Chacun est conforté dans ses convictions. Filmer quelqu'un, c'est à la fois le rendre sympathique et le détruire. Personnellement, je suis toujours surpris par ce que je filme et par ce que révèlent les images. Le plus souvent après coup. Je vois mieux les choses avec une caméra qu'à l'oeil nu! Giscard est venu visionner le film au Club 13 à la fin du montage. Tout seul. Au fur et à mesure de la projection, je le voyais qui s'enfonçait dans son fauteuil. Il a ri de lui, de temps en temps. Mais dans l'ensemble, il a trouvé ça "très violent", ce sont ses propres termes. Il a aussi été choqué par ses fautes de syntaxe. En fait, il ne s'était jamais vu comme ça, dans une durée, une continuité. 

Il l'a revu ensuite deux autres fois. Et nous avons parlé longuement à chaque reprise. Il me demandait de faire des coupes. La dernière fois, je lui ai dit carrément: "Non! Je trouve que c'est bien comme ça!" Le film le dérangeait vraiment. Depuis, plus rien. Le film n'a toujours pas reçu son visa de censure. Giscard y a mis son veto. Blocage total. Moi, je n'ai pourtant pas renoncé!

Propos recueillis par Michel Boujut (Les Nouvelles Littéraires).

Raymond Depardon et Frédéric Sabouraud, Depardon / Cinéma, Éditions Cahiers du Cinéma / Ministère des Affaires Étrangères, 1993, p.26-31.

Voir également ici et .

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