mardi 19 juillet 2011

Curieux Télescopages.

Robert Venturi, Denise Scott Brown & Steven Izenour, Learning from Las Vegas, 1972.

Peut-être est-il temps de dire, à ceux qui ne l'auraient pas déjà compris, en quoi consiste exactement le ParK. Le principe en est très simple. Son concepteur a voulu rassembler en un seul parc toutes ses formes possibles. Le ParK associe ainsi, en une totalité neuve, une réserve animale à un parc d'attractions, un camp de concentration à une technopole, une foire aux plaisirs à un cantonnement de réfugiés, un cimetière à un Kindergarten, un jardin zoologique à une maison de retraite, un arboretum à une prison. Mais il ne les associe pas de manière à ce que chacun de ces éléments maintienne son autonomie et continue de fonctionner à part. Il les combine entièrement, joint tel caractère à tel autre, jette des ponts, mélange les genres, confond les bâtiments, agrège les populations, intervertit les rôles. Il s'agit donc de mettre en rapport ce qui n'a justement pas de rapport, hormis sa référence minimale au parcage. De là naît un paysage synthétique qui mixe fête foraine et dystopie urbaine, un terrain d'essais pour l'hybridation architecturale et sociale. Se produisent ainsi de curieux télescopages. Par exemple, aux différents points d'eau de la réserve africaine, autour desquels sont discrètement dissimulées des plate-formes d'observation, les prisonniers d'un camp de travail viennent s'abreuver le soir à leurs risques et périls. Le train fantôme achève son parcours tumultueux sur les quais froids et brumeux d'une gare sibérienne où l'attendent des soldats au regard méchant, qui tiennent en laisse des chiens-loups piaffant d'impatience sanguinaire. Dans une reproduction parfaite d'une prison de l'armée américaine en Irak, les visiteurs peuvent jouer aux tortionnaires et filmer avec leur téléphone portable leurs funestes exploits. Partout l'espace psychopathologique du ParK se tient au carrefour du terrorisme mondial et de l'urbanisme immunitaire. On le voit, son originalité tient à la confusion, en un seul et même lieu, des différentes espèces d'enclavement humain, au jeu subtil des métissages sauvages, des collages surréalistes, des accouplements monstrueux, des rapprochements inédits, parfois géniaux, parfois saugrenus, toujours provocants. C'est qu'ici toutes les fonctions distinctives des parcs sont entièrement entremêlées: protéger, isoler, regrouper, exterminer. Ce n'est donc pas un thème particulier qui singularise Le ParK, mais son absence. A moins que l'on ne dise qu'il est son propre thème, qu'il se prend comme un objet d'exhibition, puisqu'il n'expose rien d'autre que les divers aspects qu'il peut revêtir à travers les âges et les continents, puisque le parcage est l'idée même qu'il met en scène.

Bruce Bégout, Le ParK, Éditions Allia, 2010, p.31-33.

Voir également ici.

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